Neighbors fait partie de ces perles oubliées qui n'ont jamais vraiment obtenu le succès qu'elles méritaient, comme en témoigne sa sortie DVD survenue plus de 30 ans après l'arrivée du film en salles. Les personnes ayant eu la chance de le découvrir sur grand écran durant cette période s'en souviendront probablement comme du dernier film de John Belushi, et par conséquent du génial duo qu'il formait avec Dan Aykroyd, l'aîné des frères Blues ayant trouvé la mort dans une overdose de speedball quelques mois seulement après la sortie du film.


Cette adaptation cinématographique du best-seller de Thomas Berger suscite toujours le débat même après plus de 35 ans d'existence. Certains la considérant comme un film bancal, au rythme inégal, quand d'autres prétendent qu'il s'agit d'une œuvre novatrice, préfigurant l'arrivée de tout un sous-genre qui allait devenir populaire et respecté dans les années à venir, grâce notamment à la montée en puissance de cinéastes tels que Tim Burton ou Joe Dante.


Neighbors reste par-dessus tout un parfait exemple du charisme que développait le duo Belushi/Aykroyd lorsque les deux acteurs étaient réunis. Habituellement, Belushi incarnait la folie, les caractères extrêmes, quand Aykroyd jouait de son côté les personnages les plus réfléchis. Cependant, les deux compères décidèrent de changer leurs habitudes pour ce film, lui donnant un aspect unique qui le distingue fortement de toutes les autres productions de ce génial tandem.


Dans sa forme, Neighbors est une comédie noire et excentrique, basée sur une idée simple, déjà utilisée comme base sous-jacente par de nombreux films d'horreur. Celle qui suggère que la vie de banlieusard n'est pas toujours aussi "ordinaire" que ce qu'on imagine au premier abord. Réalisé par John G. Avildsen, notamment connu pour son travail sur les licences de Rocky et Karaté Kid, Neighbors fait partie de ces films potentiellement cultes mais n'ayant pas réussi à s'imposer dans l'imaginaire collectif au fil des années. Cependant, pour tout amateur de ces comédies sombres et étranges, typiques des années 80, il s'agit d'un must qui devrait être vu au moins une fois dans sa vie.


Sur-ce, un détour du côté du synopsis s’impose:


L'intrigue se concentre sur un couple sans histoires habitant dans une banlieue tranquille. Earl Keese (John Belushi) et sa femme Enid (Kathryn Walker) vivent en effet une vie pour le moins monotone, leur unique distraction consistant à discuter des articles de presse lus pendant la journée. Mais le train-train quotidien des Keese est sur le point d'être bousculé par l'arrivée de nouveaux voisins très étranges, Vic (Dan Aykroyd) et Ramona (Cathy Moriarty), qui emménagent dans la maison située à côté de la leur. Il ne faudra que quelques instants avant que ces derniers ne viennent sonner à leur porte. Ce qui marquera le début d'une série d'aventures loufoques impliquant ces nouveaux résidents…


Malgré son statut de comédie typiquement 80's, Neighbors conserve toujours une approche assez sombre, très similaire à de nombreux films produits durant cette décennie, à l'image de l’œuvre de cinéastes tels que Joe Dante ou John Landis. Cette forme d'humour décalé et inhabituel fut peut-être l'élément décisif qui marqua le désamour du public envers ce film, la plupart des spectateurs s'attendant probablement à une suite inavouée du cultissime Blues Brothers, sorti un an plus tôt, et dont le succès monstrueux installa définitivement le duo Belushi - Aykroyd comme têtes d'affiches de la culture populaire. Malheureusement, les deux compères ne purent jamais vraiment se remettre de cet échec, Neighbors étant le dernier film dans lequel John Belushi joua avant sa mort prématurée en 1982. Toutefois, ce long-métrage constitue tout de même une étape importante dans la carrière de ces deux génies comiques, ici au sommet de leur art.


L’échec relatif de cette comédie pour le moins atypique s’explique très facilement lorsqu’on s’intéresse au parcours semé d'embûches qu’elle dû emprunter pour arriver jusqu'au grand écran. Tout était pourtant réuni pour que ce film soit un énorme succès. Compte tenu du pedigree des personnes présentes derrière la caméra, producteurs, scénariste et réalisateur compris, ainsi que de celui du casting, la présence simultanée de John Belushi et Dan Aykroyd suffisant habituellement à assurer une notoriété naturelle à toute production, idéal pour allécher la critique et attirer le public.
Malheureusement, une série de conflits entre les différents membres de l’équipe de tournage plomba littéralement sa production, ce qui limita fortement son potentiel avant même que le film ne soit terminé.


Les problèmes sur le tournage commencèrent lorsqu'Avildsen essaya d'engager Rodney Dangerfield pour incarner le personnage de Earl Keese, Columbia s'y opposa, préférant l'opportunité de pouvoir faire signer Belushi et Aykroyd, fraîchement auréolés du succès du film Blues Brothers. Les soucis du réalisateur continuèrent lorsque les rôles des deux stars furent intervertis au dernier moment et contre sa volonté, Avildsen devant se résigner à accepter cette exigence des deux acteurs, qui étaient par ailleurs mécontents du travail du cinéaste, allant même jusqu'à exiger qu’il soit purement et simplement viré du projet, sans succès toutefois. Ils réécrirent également le scénario de Larry Gelbart selon leur bon vouloir, malgré les nombreuses objections de l’intéressé, ce qui provoqua de nouvelles tensions entre Avildsen et les producteurs du film, qui lui reprochaient notamment son incapacité à contrôler ses acteurs. dans ces conditions, il est évident que la qualité du film allait finir par refléter ce qui se passait en coulisses. Au lieu du vaudeville entre deux nouveaux voisins initialement prévu, ce film finit par devenir le reflet malheureux d'une relation instable entre deux acteurs et leur réalisateur. Belushi, en particulier, était tellement indigné et furieux envers l'équipe technique du film, qu'un certain nombre de témoignages relèvent que l'acteur en serait venu aux mains de façon très violente à de nombreuses reprises.


Belushi était également mécontent de la composition musicale du film. Il aurait insisté à plusieurs reprises et sans raison apparente pour intégrer des morceaux d'un groupe de punk appelé "Fear", exigence qui ne fut bien heureusement pas respectée cette fois-ci, nous permettant d'apprécier la très bonne composition de Bill Conti, se révélant aussi étrange et excentrique que le ton du film lui-même. Mélangeant divers sons de cloches, de sifflets, de trompettes et de grands arrangements d'orchestre.


Bref, avec tant de situations tumultueuses et problématiques, menaçant de faire dérailler la production à chaque instant, ce film était quasiment condamné à l'échec dès le départ, et il n'eut effectivement qu'un succès d'estime lors de sa diffusion vers Noël 1981. Souffrant notamment de la comparaison avec les deux précédents succès du duo Belushi/Aykroyd sur grand écran.


Pourtant, cette histoire à la fois sombre et humoristique avait un certain potentiel, notamment par le biais de nombreux moments suffisamment effrayants pour susciter de légères nuances de macabre, toujours contrebalancées par un effet comique souvent inattendu. De nombreuses personnes avaient également estimé à l'époque que l'échange de rôles entre Belushi et Aykroyd était une mauvaise idée, ayant eu pour conséquence notable de paralyser la production, cependant, force est de constater que cela fonctionne à merveille! Il semble en effet que Belushi ne souhaitait pas continuer à jouer le même type de personnage que dans ses précédents films. Choisissant instinctivement un rôle aux caractéristiques beaucoup plus fades, tandis que son compère Dan Aykroyd jouerait le protagoniste le plus excentrique de la distribution. Ce fut une décision judicieuse pour les deux parties. Après visionnage, il est en effet difficile de s'imaginer ces deux personnages campés par un autre acteur. Contrairement à ce que l'on peut habituellement lire par rapport à la supposée faiblesse du jeu d'acteur de Belushi dans ce film, sa performance est excellente. Tout en contrôle et en sobriété durant les trois premiers quarts de l'intrigue, jusqu'à ce qu'il ne finisse par lâcher les chevaux dans une dernière partie de pure folie, très représentative de son talent, et parfaite pour conclure la carrière de cet immense acteur. Quand à Dan Aykroyd, on le retrouve clairement à son meilleur niveau, atteignant des sommets de bizarrerie encore insoupçonnés de sa part.


Pour revenir à l'intrigue, il s'agit d'une histoire de manipulation, présentant de nombreux retournements de situation qui atteignent parfois des degrés de ridicule plutôt prononcés, mais tout y est toujours calculé pour générer l'émotion. Le scénario de ce film se met réellement en marche au moment où un point de basculement bien précis est atteint, lorsque les Keese commencent à être soumis aux excentricités de leurs nouveaux voisins. Présenté d'abord comme un coup de pouce nécessaire pour instaurer une excitation absente de leur existence depuis des années, ce réveil prendra peu à peu la forme d'une véritable révolution domestique, invitant Earl à effectuer des changements drastiques dans sa vie, qui le conduiront au final à modifier complètement son comportement envers ces deux personnages exubérants.


La raison exacte du changement d'attitude d'Earl envers Vic et Ramona reste mystérieuse. Dans les grandes lignes, l'intrigue de ce film est bâtie sur le concept de la découverte de soi, pour qu'un tel scénario fonctionne, il faudrait tracer les étapes de ce voyage assez succinctement, de façon à permettre au spectateur de suivre les progrès des protagonistes ou d'identifier le moment précis où se produit leur changement de perspective. Cet élément fait malheureusement défaut à ce film, Earl se contentant de simplement mépriser ses nouveaux voisins pendant la quasi totalité du métrage, avant de décider soudainement d'embrasser leur philosophie de vie et d'acquérir une nouvelle forme d'auto-affirmation. Le problème étant que l'existence de cette facette de sa personnalité n'est évoquée à aucun moment précédent l'acte en question, aucune piste ne nous est fournie pour nous permettre de penser que ce personnage puisse être autre chose que le banlieusard froid et blasé que l'on nous présente au début du film. Si le fait d'intégrer un protagoniste subissant un revers de 180° dans son attitude et son comportement n'est pas un mal en soi, le faire sans laisser au scénario le temps de développer la raison de ce changement est déjà plus problématique, une transformation inexpliquée de la sorte ne peut qu'aboutir à un sentiment de gêne et d'incompréhension pour le spectateur, et malheureusement cela se ressent fortement ici.


En principe, le réalisateur et le scénariste seraient les premières personnes à blâmer pour ce genre de défauts, mais comme nous l’avons déjà vu précédemment, la plus grande partie de la faute revient ici à Belushi et Aykroyd. Leur querelle incessante avec Avildsen ayant littéralement pourri la production du long-métrage. Bien évidemment, une relation tendue entre un réalisateur et ses acteurs n'est guère propice à instaurer une ambiance harmonieuse sur le plateau, il n'est donc pas surprenant que ce film ne fonctionne pas sur de nombreux aspects. Cela dit, Neighbors reste une comédie absurde de qualité, extrêmement exaspérante lorsqu'elle est mal traitée, mais qui a tout de même le mérite de ne jamais irriter ou frustrer totalement son spectateur. On y aperçoit même de temps à autres des bribes du très grand film qu'il aurait pu être, si les forces créatives impliquées avaient été accordées dès le début.


Parmi ces aspects, on notera le fait que ce film développe un message pour le moins désabusé sur les relations humaines, particulièrement sur la condition d'homme marié, Earl est ici dépeint comme un prisonnier, victime d'un mariage rassis et d'une relation difficile avec sa fille devenue punk. Sa maison n'est plus aujourd'hui qu'une sépulture macabre, où il se contente d'attendre patiemment les derniers instants d'une vie devenue vide de sens. Vic et Ramona incarnent ici une forme d'échappatoire, en cherchant à forcer Earl à vivre à nouveau, ils finissent par déclencher chez lui une forme de lutte intérieure, qui ne trouvera sa conclusion que dans les dernières minutes du film, au moment où les différents points d'ancrage de l'intrigue se rejoignent dans un grand feu d'artifice final.


Le rythme de ce film est également à saluer, nous permettant de passer de la peur à l'hilarité pure en l'espace de quelques secondes, comme le souligne une scène impliquant Earl et son ami serrurier, dans laquelle Vic envahit soudainement leur conversation téléphonique. La froideur du propos est ici mise en scène à travers un montage étrangement rapide qui aide à souligner l'absurdité du comportement du personnage de Dan Aykroyd. Ce genre de situations cocasses ne cessent de défiler l'une après l'autre, ne laissant que peu de répit au spectateur au milieu de cette déferlante jouissive de bizarrerie cinématographique.


Ce sens du rythme exceptionnel permet d’ailleurs à Neighbors de se distinguer sur le fait qu'il ne rencontre aucune difficulté pour happer le spectateur dans son univers. Au fil des minutes, on oublie peu à peu que l'on se trouve devant un film, pour se laisser emporter par cette chevauchée sauvage se déroulant entièrement au cours d'une seule soirée de vendredi, de laquelle on ressort avec ce sentiment si particulier que l'on ressent lorsqu'on reste éveillé toute une nuit jusqu'au petit matin, après une dure semaine de travail.


Finalement, Neighbors reste un ajout bienvenu à la vidéothèque de tout amateur des classiques de la comédie des années 80, saisissant un moment unique dans la carrière de ses deux acteurs stars, lorsque celle-ci se dirigeait vers un nouveau style, plus divertissant, plus sombre, plus moderne. Ce film reste tout de même difficile à recommander, surtout si l'on s'attend à une œuvre dans la veine d'Animal House ou The Blues Brothers. Constituant en quelque sorte le troisième épisode de la trilogie non officielle du duo Belushi/Aykroyd, Neighbors prend le contre-pied total de ces films, avec notamment un ton parfois fou, mais beaucoup plus contenu que ses prédécesseurs, accouchant au final d'un long-métrage rempli de gags et de moments hilarants, mais dont l'humour reste généralement subtil et très sombre. Il s'agit quand même d'une expérience à tenter, rien que pour assister à la dernière performance de la carrière de John Belushi. Tout en gardant bien à l'esprit que l’on se trouve devant un film étrange, aux personnages bizarroïdes et aux situations souvent absurdes, en somme, un film constituant l'exemple typique de l’œuvre que l'on aime ou que l'on déteste, selon ce qu’on en attend. Il ne tient qu’à vous de vous faire votre propre avis sur la question!

Schwitz
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le 16 juil. 2017

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