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S’il est clair que Les Yeux noirs empruntent à l’univers dionysiaque de Fellini, avec notamment ces séquences de démesure collective au cours desquelles les patients d’une clinique font la course et dansent en tous sens avant de finir dans un bain de boue, au cours desquelles l’étranger italien perd pied dans une liesse mêlant traditions russes et tsiganes, ils accentuent davantage la mélancolie du personnage principal, séducteur qui tend à disparaître dans les rôles qu’il campe.


Aussi n’est-il pas anodin que le seul mot russe que ce dernier connaisse soit celui signifiant « petit chien » : il insiste sur son animalisation, galopante durant l’entièreté du long métrage – Romano se déplace telle une pie, fait des bruits d’oiseau, siffle sans cesse – dont l’axiologie évolue à mesure que les personnages féminins, de proies chassées par un prédateur, mutent en figures de sagesse et de modération, voire en pythies capables de lire le malheur à venir de l’homme. Dès lors, ce sont moins les femmes que préfigure le petit chien que le séducteur, victime d’un rapport aux autres et au monde qui le réduit à une position d’acteur ; jouer la comédie lui permet de résister à un temps auquel il n’a guère de prises véritables, de se divertir et ainsi lutter contre l’ennui et le désespoir – d’où le « noir » des yeux.


Jouer la comédie l’enferme pourtant dans un cercle vicieux situé hors des sentiments authentiques et durables. Comme il l’exprime en clausule, « j’ai eu tout et rien », à la fois marié à une riche héritière et extérieur à des possessions qui ne lui appartiennent pas et dans lesquelles il erre tel un fantôme d’opéra. Il est ce bonimenteur qui s’agite derrière une vitre incassable, qui vit par procuration et ne communique que par la fiction, en l’occurrence ici par les mensonges et par l’histoire qu’il raconte à Pavel sur le bateau – rejoignant ainsi les figures de rêveurs et de mythomanes chères au cinéma de Nikita Mikhalkov, comme dans La Parentèle (1981) ou Sans Témoins (1982).


Une œuvre sublime, magnifiquement mise en scène et campée par deux acteurs superbes : Elena Safonova et Marcello Mastroianni.

Fêtons_le_cinéma
10

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le 9 sept. 2021

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