Ils sont bien penauds, ces libertins, que l’on chasse soudain de la Cour de Louis XVI pour leurs mœurs dissolues, en butte à l’autorité et à la fausse vertu qui règnent alors dans le pays. Fuyant vers l’Allemagne où, pensent-ils, le transport de leurs pensées et appétits scandaleux n’aura à obéir à la moindre morale, les voilà s’arrêtant dans un sous-bois, à la tombée de la nuit, non loin d’un couvent, prêts à se livrer à de nouvelles débauches avec fidèles valets, jeunes novices et paysans du coin. Dans l’obscurité de la forêt, les corps les plus divers se rencontrent et s’éprouvent comme sur un lieu de drague, endurent plaisir et douleur jusqu’à ses éventuelles limites.


Les peaux sont pâles, les seins ronds, les vits saillent à peine, et on jouit davantage de pouvoir s’adonner au dévergondage, du plus indulgent au plus extrême, de l’inventer et de l’objectiver par le verbe, que de s’y abandonner volontiers. C’est là sans doute qu’est la liberté annoncée dans le titre. Dans la possibilité à profiter de la chair ad nauseam, autant d’ailleurs qu’à la profaner, mais à quel prix, et pour quels crédits, et pour quelle utopie ? «Tout ceci est intérieur, comprenez-vous ?», explique un personnage à un autre. Pourtant les caresses et les sévices ne manquent pas, ni les cris ni les râles ni les suppliques, mais la jouissance qui pourrait en résulter semble rarement atteinte, voire inutile.


Messieurs déchargent peu, en fait, et Mesdames se frottent, s’empalent contre une souche d’arbre ou sont laissées là, nues, attachées à un tronc. Dans la répétition inépuisable des actes observés par Albert Serra, le désir est las, éternellement insatisfait, souillé de sang et trempé d’urine, et on s’extasie surtout des futurs excès, zoophiles ou scatologiques, qu’on aime à commenter dans le détail. Lent et hypnotique, beau comme une toile de Watteau ou de Gainsborough, épuré dans sa forme comme dans sa narration, Liberté fonctionne tel un cérémonial sadien basé sur la redite et la progression dans l’obscène.


Le lieu clos a, en revanche, laissé place au bois «empoisonné» et aux clairières parmi lesquelles on furète, on touche, on lèche, tâte du fouet et de la tige, où les chaises à porteurs deviennent des alcôves interdites, des cabines de backroom où l’on se retrouve pour quelques étreintes et coïts. À l’aube tout paraît avoir disparu, une absence s’impose sinon la lumière naissante et douce venant glisser sur un bosquet, mais sans doute sont-ils déjà partis vers d’autres lieux, d’autres gouffres où ni Dieu ni loi ne sauraient les contraindre, et puisqu’il leur faut continuer à forniquer, à corrompre sans cesse, et puisqu’ils s’entêtent à se foutre de tout.


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mymp
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le 9 sept. 2019

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