Soigner le malade, c'est l'isoler de la source de sa maladie.

Voilà un film qui m'a mis bien mal à l'aise.

D'abord par son parti-pris de mise en scène, la caméra toujours collée à Léa Drucker, soit en gros plan, soit juste derrière elle, fixée sur son chignon. C'est une bonne idée de mise en scène au départ, mais au bout d'une heure et quart, c'est usé jusqu'à la corde, et cela provoque la nausée plutôt qu'autre chose.

Ensuite, le jeu des acteurs pose question. Si Léa Drucker est tout à fait crédible dans son rôle d'infirmière qui va trop loin, les autres acteurs sont décevants, et notamment Alex Descas que je me faisais une joie de revoir, ainsi qu'Anamaria Vartolomei, qui peut faire beaucoup mieux quand elle est dirigée avec justesse.

Mais ce qui est le plus gênant, c'est l'objet même du film. L'histoire de cette soignante qui perd les pédales, plus ou moins, face au comportement trouble de cette mère dysfonctionnelle. Je ne comprends pas comment on peut ne pas se dire que cette femme est nocive pour son enfant. Elle a tous les symptômes d'une mère au comportement pathologique dangereux, on est d'ailleurs pas très loin du syndrome de Munchhausen par procuration. Et le problème, c'est que la réalisation semble épouser le point de vue du personnage joué par Léa Drucker. Les pédiatres raisonnables sont traités comme des êtres durs, autoritaires, dénués d'empathie. Alors qu'il me semble que la logique la plus évidente voudrait qu'on éloigne à tout prix ce pauvre enfant de sa mère toxique.

La pédiatre jouée par Léa Drucker a perdu de vue l'intérêt de son patient (l'enfant), et traite la mère comme une patiente, alors que c'est une délinquante. Cette mère trompe son monde, car elle joue le rôle d'une mère aimante, mais elle ne l'est pas, elle est juste persuadée de l'être, elle ne pense qu'à elle. Elle ne cesse de dire : "Sans lui, je ne suis rien", ce qui veut bien dire qu'elle n'aime pas son fils, elle ne pense qu'à son bien-être à elle, qu'à son besoin maladif d'avoir un enfant sous sa responsabilité.

Et j'ai bien l'impression que le film a également perdu de vue l'intérêt de l'enfant, qui est finalement beaucoup moins filmé que la mère. C'est étrange cette fascination qu'on peut avoir pour des personnages malsains et toxiques pour autrui, pourquoi les traite-t-on si souvent comme des êtres malheureux alors qu'ils ne sont que nocifs? Il y a ici une confusion de ce qui fait l'essence du récit, le schéma actanciel. Qui est l'antagoniste? Qui veut-on vraiment aider dans l'histoire? La mère, ou l'enfant? Il semble bien que ce soit la première, ce qui fait du titre de ce film un slogan bien trompeur. Et ne me dites pas que l'intérêt de l'enfant dépend de celui de la mère. Quand la mère est comme cela, c'est plutôt l'inverse.

Et la fin peu crédible, où la mère accepte tout d'un coup de se faire soigner, alors que deux minutes auparavant, elle menaçait de se jeter d'une voiture en marche, voudrait nous faire croire que c'est en accordant toute notre attention à ces êtres en plein délire psychotique, qu'ils finiront par reconnaître leur maladie. Alors que tous les spécialistes vous confirmeront que c'est faux, quand on en est à risquer la vie de son enfant, on est bien trop enfoncé dans sa psychose pour accepter comme ça de se faire soigner. Cette morale est franchement limite sur le plan éthique à mon sens.

J'avais bien apprécié le précédent film de Laura Wandel, Un Monde, mais ce qui faisait la qualité de ce précédent fait les défauts de celui-ci. Un parti-pris de mise en scène radical, mais qui, ici, devient trop rigide. Une vision du monde qui finit par être complaisante et éthiquement douteuse alors que dans Un Monde, c'était beaucoup plus dans la retenue et dans la nuance. Mais surtout, un désir de provoquer l'empathie qui enfin pose question, quand il s'agit de la diriger vers un personnage dangereux et au comportement psychotique. Au risque de devenir son complice.

Oui, il y a des enfants qui grandiront mieux sans leur mère, et il faut savoir se résoudre à cette séparation, même si, sur le moment, ils ne la souhaitent pas. Et il me semble que c'est ce cas de figure dans ce film. Dès lors, je ne comprends pas pourquoi cette soignante jouée par Léa Drucker s'obstine à nier ce qui est nécessaire, pour soutenir cette femme dangereusement irresponsable.

Ce film m'a mis mal à l'aise, car il ignore une vérité essentielle : soigner un malade, c'est l'isoler de la source de sa maladie. Même quand la source de sa maladie, c'est sa mère.

Shimura
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