Alors qu’il avait annoncé en avoir fini avec la réalisation de films lors de la sortie de Behind the Candelabra (un téléfilm qu’il a fait pour HBO), et après une excursion à la télé avec la réalisation de l’excellente série The Knick puis la production de The Girlfriend Experience, une superbe série issue d’un de ses propres films, voilà que Steven Soderbergh revient finalement dans les salles obscures. De ses propres mots, le scénario de Logan Lucky lui a donné une inspiration nouvelle, il a donc décidé de reprendre sa carrière cinématographique en le réalisant alors qu’il devait juste recommander un réalisateur adapté au projet. Logan Lucky devient donc instantanément un long métrage intéressant, son script ayant réussi à faire revenir sur les devants de la scène un metteur en scène talentueux qui a en plus beaucoup appris de son passage sur petit écran en y gagnant une nouvelle maturité.


Il suffit juste de lire le synopsis pour comprendre ce qui a intéressé Soderbergh dans le projet. Hormis l’évidence qu’il réalise un peu son Ocean’s Eleven version redneck, on constate que le film brasse un bon nombre de thématiques qui lui sont chères. L’étude des classes sociales dans une Amérique déphasée, des personnages en quête d’évasion de leur quotidien, etc. Plus qu’un divertissement haut de gamme sous sa forme de « heist movie » déluré, Logan Lucky est avant tout une satire sociale grinçante et diablement efficace. Jouant la carte de l’ironie à tout les niveaux, symbolisée même à travers le titre qui souligne le caractère chanceux de la famille Logan alors qu’ils sont, selon les superstitions du plus jeune frère, maudits, Soderbergh brosse un portrait au vitriol d’une Amérique rongée par l’hypocrisie et la pauvreté. L’argent vient des institutions, des religions fiduciaires imposées à un peuple abruti par la publicité qui ne s’impose qu’en consommateur et acheteur de sa propre déchéance. Le réalisateur joue d’ailleurs habilement du placement de produits pour mettre ses personnages en position de victime de la société de consommation mais par extension venir aussi piéger son spectateur en le mettant face à son propre besoin de consommer. Il ré-interroge intelligemment le rêve américain qui s’impose plus que jamais comme une promesse de capitalisme et montre au final sa réussite, qui se fait au détriment de ceux destinés à se faire exploiter.


Le gouvernement est présenté comme une bande d’incompétents préférant fermer les yeux sur leur médiocrité et s’en prendre aux autres pour leurs fautes, ou encore comme des actionnaires prêt à la moindre entourloupe pour se faire de l’argent et des agents calculateurs, froids et obsessionnels. Donc plus encore que l’efficacité simple de son récit, qui voit ses personnages planifier un casse et le mettre en œuvre, Logan Lucky trouve vraiment sa particularité à travers son sous-texte. L’Amérique ici est symbolisée à travers le NASCAR et chaque personnage vient apporter une symbolique à cette Amérique qui s’est perdue dans ses valeurs faussées, régit par le diktat de l’image et la célébrité. Les deux frères Logan représentent les laissés pour compte, l’un payant le prix de son handicap alors qu’il était destiné à devenir un talentueux et célèbre footballeur américain tandis que l’autre subit les conséquences d’avoir été faire la guerre pour son pays. La parcours du personnage principal devient donc particulièrement intéressant, lui qui aurait dû être une des idoles de son pays qui se voit devenir un paria à cause d’un malheureux accident. Un pays où soit on est quelqu’un, soit on n’est personne. Le film en devient passionnant à être décortiqué et se montre plus habile et pertinent qu’il ne peut le laisser paraître de prime abord. Mais sans cela, Logan Lucky reste une histoire souvent drôle et touchante qu’on prend plaisir à suivre grâce à son trio principal relativement attachant. Néanmoins, à trop se tourner sur la symbolique certains personnages se voient sous exploités, notamment les personnages féminins, et le film vient à souffrir d’un troisième acte et d’une conclusion plus confuse et beaucoup trop longue.


Tout n’est donc pas parfait et l’ensemble se montre nettement prévisible dans les mécaniques de son scénario, reprenant même à l’identique la formule déjà vu dans un Ocean’s Eleven et donc on attend assez vite les limites de l’entreprise. Mais Logan Lucky peut quand même compter sur un casting impeccable avec des seconds rôles solides et des caméos plutôt sympathiques. On regrettera juste que l’excellente Riley Keough ne soit pas plus mise en avant. Par contre le trio principal formé par Channing Tatum, qui n’est jamais aussi doué que lorsqu’il travaille avec Soderbergh, Adam Driver et Daniel Craig est excellent. Craig offre d’ailleurs une performance à contre-emploi savoureuse et dévoile un talent comique insoupçonné qui en fera incontestablement l’attraction du film. Mais avec son attitude de Droopy et son naturel sidérant, Adam Driver est aussi un atout de poids et crée souvent l’hilarité arrivant par la même occasion à voler pas mal de scènes à ses comparses. Soderbergh est lui aussi plutôt inspiré dans sa mise en scène, montrant qu’il est toujours un esthète hors pair en enchaînant les plans brillamment élaborés mais pourtant impressionnants de simplicité. Le réalisateur à un œil particulier lorsqu’il s’agit de filmer les gestes du quotidien et arrive souvent à les magnifier comme personne. Soutenu par son montage dynamique, même s’il ralentit un peu trop la cadence dans le dernier tiers, et sa photographie léchée, le film s’appuie aussi sur des musiques intradiégétiques plaisantes à l’oreille mais qui soulignent aussi que Logan Lucky est un long métrage astucieusement pensé et qui ne laisse rien de côté.


Logan Lucky est donc une réussite. Steven Soderbergh revient en grande forme et signe un film bien pensé et encore mieux exécuté mais qui apparaît néanmoins comme assez mineur dans sa filmographie. Même si son sous-texte est particulièrement bien senti et qu’il apporte une ironie salvatrice à l’ensemble, Logan Lucky s’embourbe quand même dans le cahier des charges du film de casse. Celui-ci est toujours efficace mais ne semble plus capable de livrer des surprises et on voit assez vite venir la finalité du récit. C’est assez dommage car avec un peu plus d’énergie et d’inventivité, le film avait toute les cartes en mains pour être un grand moment de cinéma. Reste une œuvre construite avec intelligence et menée par un très bon casting et les spectateurs qui ne relèveront pas l’étendue de sa charge sociale y verront quand même un divertissement maîtrisé et rondement mené, même si un peu attendu. Du bon cinéma qui devrait facilement plaire à un large public.


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Frédéric_Perrinot
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le 5 oct. 2017

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