Lost River, le premier film de Ryan Gosling est un petit bijou

Lors de sa présentation à Cannes dans la sélection « Un certain regard », le premier film de Ryan Gosling avait suscité un accueil très hostile. À tel point que la Warner, qui distribue le film, avait décidé d’en limiter la sortie étasunienne aux seules salles de New-York et de Los Angeles, avant de le mettre à disposition des spectateurs en VOD. En France, Lost River est diffusé dans un nombre assez restreint de cinémas. Mais vous feriez bien de vous y rendre.


En l’état, l’amorce – une fois le générique façon plans fixes à la Panic Room conclu – est franchement maladroite. Vouloir rendre hommage à ses cinéastes instigateurs est une chose. Savoir le faire en est une autre. Ici, Gosling tente un hommage à Terrence Malick (caméra collée sous le nez) vitrifié par un univers lynchien : le résultat n’est ni envoûtant ni dégoûtant, il est brave certes, mais surtout pataud. Comme s’il fallait combler le vide artistique par une substance scénaristique, un personnage anodin vient nous prévenir : « Barre-toi de là dès que tu peux ».


Hommages et visions sombres


Le « là » en question s’accorde à cette banlieue délabrée, sombre et sauvage, aux abords de la ville de Détroit où l’espoir semble avoir été emporté avec la migration de l’industrie dans la région, désormais sinistrée. Sinistrée, la situation l’est. Billy (Christina Hendricks) est forcée d’accepter un job qui ne lui convient pas, et son fils Bones (Iain De Caestecker) de voler du cuivre, pour le revendre à des contrebandiers qui sont de plus en plus réticents à l’idée de collaborer avec lui, parce qu’ennemi numéro un de Bully, gangsta à l’emprise démoniaque. Le clou du récital ? Précisément ce qui est affranchi au récit, c’est-à-dire la façon dont les couleurs – un patchwork de visions fluorescentes et incandescentes – arpentent et prennent la mesure d’une timeline somme toute ridicule, héritée des souvenirs enfantins de son réalisateur : la recherche d’un village englouti sous les eaux, dont la résolution est d’ailleurs totalement insensée. L’objectif est unique et univoque, servir de fil conducteur au spectateur, afin de ne pas (trop) le perdre.


Le gore pour le gore


Voire de le réduire à son attitude la plus béate, car Lost River fait surtout figure de conte pour enfants, avec son méchant clairement identifié, ses péripéties tonitruantes, et ses découvertes fantastiques (et notamment ces somptueux passages dans la forêts). Les délicats tintements qui composent la musique qui l’accompagne (Yes, de Chromatics principalement) se rapportent à cette même dimension. Sauf que la douce mélodie vire progressivement à l’horreur, et que ce qui aurait pu (dû ?) restaurer l’allégresse et l’insouciance du passé (l’ambiance du club rappelle les années folles) ramène les personnages à une atrocité sans précédent. Pour le jeune cinéaste, l’enjeu s’est déplacé. Le déterminisme social et les prétendus engagements pris en début de film se dissipent et laissent place au gore, sans aucune autre valeur que celle qui le définit. Ryan Gosling fait du gore pour le gore (et quel gore), tout comme Théophile Gautier faisait de « l’art pour l’art ».


En cela, il rejoint de la plus belle des manières ce dernier – précurseur du mouvement Parnasse – et dissimule en lui sa véritable inspiration. Que lui importe-t-il en effet, en seconde partie de son film, en dehors de sa quête du beau ? Rien d’autre, c’est indéniable. Les écrans, les brumes, les nappes de la mise en scène et les corps, les yeux, les visages des personnages, conjugués au surréalisme, à l’invraisemblance, et à la pyromanie des situations constituent une sublime rencontre, qui voit le fascinant gagner le superbe. Le travail du chef opérateur Benoît Debie est à saluer par-dessus tout, et à contempler lors d’une danse crépusculaire à peine éclairée, de la mise en contact de lampadaires noyés dans un lac, ou de la combustion soudaine d’un foyer innocent et glauque.


Seul son montage parallèle indécis lui fait du tort. Pour le reste, Lost River est un bijou, à une grande – voire à une écrasante – majorité d’égards. Il est au cinéma de genre ce que Ryan Gosling est à Hollywood et à ses groupies : un objet esthétique vain, mais profondément et avant-tout beau, peut-être même sublime.


Ma critique sur Radio-Londres ici.

critikapab
8
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le 25 avr. 2015

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