Entre ridicule scénaristique et fulgurances sensorielles.

Bon, la communauté de Sens Critique semble avoir en majorité détesté le film, mais ça m'a un peu rassuré de voir que, comme moi, beaucoup de gens avaient des "avis intermédiaires".
Parce que non, on ne peut pas crier au génie devant ce film comme certains le pensent. Mais de là à le démonter comme ça...surtout que beaucoup de critiques s'attaquent au postulat de base qui est juste un prétexte pour tout le reste.
D'autres critiques trouvent que le film est prétentieux et qu'il n'a pas les moyens d'atteindre son message. Moi, je n'ai pas vu un film prétentieux, juste quelque chose de généreux, profondément maladroit et mal foutu à plein de niveaux, mais sincère.
C'est pour ça que les discours type "Luc Besson = veut se faire du fric à tout prix en prenant ses spectateurs pour des cons" me laissent aussi perplexe. Oui, on sait qu 'Europacorp est une énorme pompe à fric avec une armée de "yes men" aussi mauvais les uns que les autres.
Mais on ne peut vraiment pas ôter à "Lucy" l'honnêteté du réalisateur.

On commence par le postulat, donc. Non, l'être humain n'utilise pas que 10% de son cerveau comme le film le suggère, non augmenter notre intelligence ne nous permettrait sans doute pas de faire voler les gens en l'air, de se connecter à tous les relais TV du monde, ou de faire s'évanouir tout un commissariat.
Voilà. Comme un homme ne se transforme pas en géant vert quand il est exposé à des rayons gamma ("Hulk"), comme un choc à la tête ne déclenche pas des pouvoirs paranormaux et la capacité de contrôler les gens ("Game of Thrones"), comme autant de postulats de base impossibles qui permettent ensuite la construction d'une histoire. C'est pour ça que je m'attarderai pas sur tout le bullshit scientifique du film qui est complètement cohérent à l'intérieur de son univers, mais pas du notre.

Du coup, pourquoi "Lucy", c'est pas mal?
La première partie (les images avec des animaux dans la savane mises à part, mais j'y reviendrai) est bonne. Scarlett Johansson est très touchante dans toute la partie "mise en place de la situation". Son jeu très réaliste nous fait vraiment ressentir son désespoir. On ne sait pas grand chose sur le pourquoi du comment de cette mallette, de cette drogue, de cette organisation, et c'est pas plus mal. Cela instaure une vraie tension, le spectateur en étant au même point de compréhension que le protagoniste principal, à ce moment là. On notera la petite référence sympa à la pose emblématique de Gary Oldman lorsqu'il se drogue dans Léon (reprise ici par un junkie sur lequel est testée la drogue).
Tout ça est entrecoupé de scènes explicatives où Morgan Freeman, professeur en neurosciences (sans doute), s'adresse à ses élèves en parlant de nos limites dans l'utilisation de notre cerveau, et d'éventuelles possibilités de l'utiliser plus largement.
Ca amène, certes maladroitement, tout ce qui va découler de l'absorption forcée par Lucy (Johansson, donc) de cette nouvelle drogue.

Passée la scène de "transformation" un peu WTF, le film s'emballe et on suit la trame tout en se butant à pas mal d'obstacles. Lucy devient d'un seul coup ultra-badass, déterminée, flingue tout ce qui bouge (ses ravisseurs mais aussi un pauvre taxi...nice), flingue un patient dans un lit d'hôpital en arguant que "de toute façon, il allait mourir". C'est marrant parce qu'on sent que Besson a le cul entre deux chaises genre "Bon, maintenant que son cerveau est hyper développée, je peux mettre de la baston! Mais du coup, elle est gentille ou méchante? Je m'y perds un peu. Bon, je vais essayer de justifier ses meurtres". C'est assez ridicule.
Il faut se dire que ce film, sous ses allures métaphysiques qui ont fait dire à beaucoup qu'il était prétentieux, est un gros délire (l'apogée étant la scène finale que je ne spoil pas). Quand on entre dedans, eh ben on passe un moment plutôt agréable.
Ca n'excuse pas le flic qui se rallie à sa cause alors qu'elle est ultra-dangereuse, ni le fait que sa domination progressive de ses capacités cérébrales lui donne absolument tous les pouvoirs existant (lire dans les pensées, prendre le contrôle des ondes, voyager dans le temps, contrôler les éléments, etc...), mais voilà. C'est là qu'on voit que le film est bourré de bonnes intentions qui frisent le ridicule quand elles ne le tutoient pas complètement. Besson revisite certains thèmes de "2001: L'Odyssée de l'espace" avec des gants de boxe.
Ca porte à rire, et c'est touchant en même temps. En plus, comme les images de synthèse sont bonnes, il faut avouer qu'on passe quelques très beaux moments purement esthétiques (je pense notamment à Lucy qui voyage dans le temps depuis sa chaise, ou à sa transformation finale assez bluffante et "whathefuckeste" au possible).
Les gunfights restent dans la veine Besson, même si la scène avec le vilain qui glisse sur ses genoux tout en tirant au lance-roquettes, le tout au ralenti, a procuré un certain plaisir coupable au geek qui sommeille en moi.

En bref, j'ai passé un plutôt bon moment devant ce film mais ses défauts, notamment dans la psychologie des personnages secondaire, la qualité de certains dialogues (putain, les pauvres flics français...) et l'énormité des capacités de l'héroïne, m'ont empêché de complètement prendre mon pied. Et puis non, Luc, mettre des animaux qui se courent après pour souligner l'aspect dramatique d'une scène ne va pas faire de ton film quelque chose de transcendant, mais c'est cool d'avoir essayé. Par contre, la transformation de Lucy à la fin, ses trips hallucinés plus novateurs depuis 1968 mais bien foutus, ça fonctionne très bien par moments.
Moi je sens que tu étais sincère et que tu y croyais, c'est le principal.