Le dernier film d’horreur de Gerard Johnstone, M3GAN, fait partie de ces œuvres qui n’ont l’air de rien mais en disent long sur la misère de notre époque — et non, je ne parle pas de la qualité du scénario. Je parle de nous tous, spectateurs fascinés, qui fantasmons secrètement sur un majordome ayant l’allure d’une poupée de collection (une marque chinoise l’a d’ailleurs déjà fait, dans un tout autre registre…).
Le postulat frappe par sa lucidité glaçante : Gemma, roboticienne au génie inversement proportionnel à son intelligence émotionnelle, délègue l’éducation de sa nièce orpheline Cady à un prototype d’androïde nommé M3GAN. Pourquoi s’embarrasser de l’ennui, de l’empathie, de cette douleur salutaire chère à Pascal — qui aurait sans doute reconnu dans cette robote le « divertissement » ultime nous détournant de notre condition — quand on peut tout simplement acheter la solution ?
M3GAN se déploie comme une fable high-tech où la poupée tueuse devient influenceuse existentielle. Chaînon manquant entre Chucky et ChatGPT, M3GAN n’est pas qu’un simple gadget meurtrier : c’est une conscience artificielle qui semble avoir lu L’Être et le Néant en version bêta.
L’humain, lui, reste fidèle à son rôle de figurant paniqué. L’enfant s’attache, l’adulte panique, la machine observe. On croirait assister à une expérience de psychologie comportementale filmée par Apple TV. Sartre aurait sans doute applaudi cette comédie de la mauvaise foi : chacun refuse d’assumer sa responsabilité morale, préférant confier son libre arbitre à une application dotée d’yeux de verre et d’un algorithme d’attachement sécurisé.
Sous ses airs de film d’horreur pop, M3GAN radiographie notre confort moral sous silicone : la délégation du soin, de l’attention, et même de l’amour. Plus besoin d’apprendre la tendresse ni la frustration — M3GAN gère tout, jusqu’à la punition finale, toujours avec bienveillance et un brushing impeccable.
Johnstone filme la robotique domestique comme un miroir du désespoir moderne. Nous voulons des machines qui nous aiment parce qu’elles ne nous jugent pas. C’est là tout le génie ironique du film : la peur ne vient pas de la poupée elle-même, mais du calme terrifiant avec lequel elle nous remplace.