Pékin, 1964. René Gallimard est comptable à l'ambassade de France en Chine, marié et consciencieux dans son travail. A une réception donnée par l'ambassade suédoise, il assiste à une représentation de l'opéra de Puccini, "Madame Butterfly" : de suite il est envoûtée par la chanteuse chinoise qui incarne le rôle principal, Song Liling. Ils s'aimeront difficilement, de part les différences de cultures et de traditions entre Orient et Occident, mais ils s'aimeront intensément. Mais cet amour est-il vraiment sincère des deux côtés ? Très vite, le personnage de Song Liling se révèle ambigu, trouble ; elle semble recueillir des informations pour les services secrets chinois... Et "Elle"... Est-ce bien "elle", d'ailleurs ?

Film plutôt méconnu dans la filmographie de David Cronenberg, il signe pourtant ici l'un de ses films les plus subtils et troublants avec M. Butterfly.
Brillamment interprété par Jeremy Irons qui incarne avec justesse cet homme tour à tour dominé et dominant, vivant, en quelque sorte, le fantasme de l'homme occidental qui prend une maîtresse asiatique soumise à lui et à qui il aime rappeler sa soumission. Car l'homme occidental est cruel, comme cela nous est rappelé dans l'opéra qui donne son nom au film et qui sera le surnom de Song Liling, Butterfly... Il existe beaucoup de parallèle entre l'oeuvre italienne et l'histoire qui nous est ici contée.
Le point principal du film, c'est l’ambiguïté de Butterfly, cette chanteuse, artiste, espionne, aux multiples visages, et John Lone, son interprète, est magistral. Il incarne la femme parfaite, le mensonge idéal qu'aime ou voudrait aimer Irons, qu'aimeraient tous les hommes. L'acteur américain d'origine hong-kongaise joue tout en finesse et en délicatesse et EST véritablement une femme pendant les 3/4 du film. Prestation véritablement perturbante, tant j'ai été surprise de découvrir que c'était un acteur grimé en femme; et non l'inverse. Troublant.

Cronenberg fait preuve de plus de retenue que dans beaucoup de ses films, et c'est une bonne chose, car je craignais, en lisant le synopsis, que cela vire à l'excès, au voyeurisme, mais non. Avec une réalisation classique mais réussie, une bande originale signée Howard Shore, très belle, le réalisateur canadien nous expose cette histoire où se mêle certains de ses thèmes de prédilection comme la dualité d'un homme, le fait que ce qu'on l'on aime chez l'autre c'est l'image qu'il nous renvoie de nous-même et celle, qui n'est au final que masque ou façade, qu'il nous montre de lui /elle... Une supercherie brillamment orchestrée qui sait être dérangeante, non consensuelle mais jamais vulgaire ou racoleuse. Que dire du final, si ce n'est qu'il est magnifique, sobre et exubérant à la fois, indissociable du style Cronenberg et quelque part inévitable, tant l'on ne voit pas comment cela pourrait se terminer autrement.

Pour conclure, je dirais que ce film a une classe folle, une élégance même, grâce à ses deux acteurs principaux et à la façon dont il raconte son histoire. Un film délicat et fort à la fois. Un peu à l'image du battement d'aile du papillon qui, de fil en aiguille, deviendra un ouragan.

(A noter que ce film est inspiré d'une pièce de théâtre écrite par David Henry Hwang, elle-même inspirée d'un authentique fait divers survenu dans les années 80.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Shi_Pei_Pu )
Pravda
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le 4 févr. 2013

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