Jusqu'aux Témoins (après lequel il multiplie les adaptations de faits divers : La fille du RER, L'Homme qu'on aimait trop), André Téchiné s'est illustré par des créations romanesques (Hôtel des Amériques, Rendez-vous), plus ou moins intimistes, surtout lorsqu'ils tendent à l'autobiographie. Par conséquent Les roseaux sauvages (1994) est une sorte de consécration où les tensions de son cinéma sont résolues. Téchiné était alors de retour dans sa région d'origine, autour de Toulouse et dans le Tarn, pour un autre tournage : Ma saison préférée, son grand succès critique.


Dans cet opus découpé en quatre parties correspondant aux quatre saisons, il suit une famille et notamment un frère et une sœur, réunis pendant la dernière année de leur mère. La sœur est interprétée par Deneuve, collaboratrice préférée de Téchiné avec qui il revendique un lien de « frère et sœur de cinéma ». Le frère, joué par Daniel Auteuil, est une espèce de romantique contrarié, souvent par lui-même et son désir paradoxal d'être adapté ; toujours emporté dans ses élans, il a peur de s'emporter encore ; décidé à se réconcilier avec sa sœur et son mari, il sabote presque malgré lui leurs retrouvailles. Il en dit trop et se dérobe constamment.


Pour devenir de bonnes incarnations du mythe de l'ascenseur social, ils ont tous les deux pris le large à l'égard de la famille ; ils se retrouvent au moment où la solitude les rattrapent. Un déclassement en esprit, voire en 'bonheur' se profile : les voilà au sommet de leur existence sociale et professionnelle, bientôt ils reculeront ou se détacheront. La fin de leur mère les amènent à concevoir leur propre fin, en tant qu'individus à construire : elle fait remonter les souvenirs, l'identité profonde, les données gênantes. Il y a des évidences tellement rudes qu'elles sortent de la conscience, en dépit des faits (comme dans Le Lieu du crime ou Les Égarés, le climat est incestueux).


Ainsi lorsque la mère est conduite dans une maison de retraite, c'est bien un sacrifice égoïste et une condamnation, mais seule la victime accepte de le voir comme tel ; encore qu'elle aussi relativise puisque son acceptation comprend celle du temps qui passe et la reconnaissance des ravages du « monde moderne » à l'égard des familles et surtout des sujets comme elle. Même pendant cette période où Antoine et Emilie sont en train d'accompagner leur mère vers la sortie, la compétition entre eux reste de mise : la mère indifférente mais irréprochable (et qui sait le souligner) est devenue hors-jeu même quand elle est le trophée. Martha Villalonga a la fonction d'un pantin arbitre. Elle peut faire entendre sa voix et ses analyses, sa volonté et son autorité sont de toutes façons déjà évacuées, réglées par les définitions du droit.


Ma saison préférée est, au moment de sa sortie, le plus posé de tous les films de Téchiné, le plus classiciste a-priori. Il laisse de côté certains thèmes 'retentissants' chers à l'auteur (exit l'homosexualité), pour s'attacher à des préoccupations plus larges et indépassables (on pourra dire aussi 'banales'), avec ces blessures, ces attachements et ces limites propres aux cycles traditionnels de l'existence et de la famille. Par rapport à Rendez-vous ou Le Lieu du crime, l'hypertrophie des sentiments (comme fin et comme méthode) demeure. Les dialogues sont parfois très 'écrits' (au début surtout), 'trop' sûrement même si le résultat est agréable et que la finesse des mots compense la lourdeur du procédé. La mise en scène est tamisée, recueillie, avec quelques bouffées dé-réalisantes (la femme du bar, l'apparition de Bruno Todeschini [La reine Margot, La Sentinelle] et son aventure avec Deneuve).


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le 12 janv. 2016

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