Macbeth
6.2
Macbeth

Film de Joel Coen (2021)

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En dépit d’une bande-annonce pour le moins aguicheuse, la première réalisation en solo de Joel Coen interroge forcément : quel est l’intérêt, aujourd’hui, de mettre en boîte une énième adaptation de Macbeth ? Le cinéma a-t-il encore quelque chose à dire au sujet de cette « pièce écossaise » dont la noirceur légendaire fut étudiée par tant de cinéastes déjà, comme Welles, Polanski ou encore Kurosawa ? L’originalité est-elle encore permise lorsqu’on aborde cette histoire « pleine de bruit et de fureur » connue de tous ? Une originalité à laquelle Joel Coen aspire en se focalisant sur l’essentiel, sur ce qu’il pense être l’os et la moelle de la pièce : la « tragédie » (mise en avant par le titre original), le texte, les acteurs. C'est du Shakespeare dégraissé à l’extrême qu’il nous offre, associant la démarche artistique de Welles (minimalisme, artificialité des décors...) à l’esthétique des films de l’âge d’or hollywoodien et de l’expressionnisme allemand (Travail sur le N&B, format 1:37...). Une radicalité formelle qu’il pense adéquate pour donner vie à la citation emblématique de la pièce : « La vie n’est qu’une ombre qui passe, un pauvre acteur qui se pavane et s’agite durant son heure sur la scène et qu’ensuite on n’entend plus. C’est une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien. » Ainsi, loin du ton caustique auquel il nous avait habitués jusqu’alors, notre homme se pare de sérieux et de gravité afin d’octroyer à son film ses habits de grande tragédie, de festival d’ombres et de verbes dans lequel s’agitent en vain des personnages nourrissant leur propre malédiction.


Comme un symbole de l’échec patent qui l’attend, Coen a remplacé le château baroque de Welles par une architecture aux parois lisses et aux intérieurs aussi immenses que vides. Visuellement, le symbole est très fort puisque l’on passe d’une entité rugueuse et consistante, marquant le regard comme l’imaginaire, à quelque chose de lisse, creux et vide, pour ne pas dire insignifiant. Un décor dont l’artificialité assumée, les lignes saillantes, les courbes et les vues lumineuses se retrouvent toutefois sublimées par le travail photographique de Bruno Delbonnel (déjà excellent dans Inside Llewyn Davis, dernier grand film des Coen), offrant ainsi à cette grande tragédie du pouvoir une dimension picturale parfaitement saisissante : certaines séquences impressionnent, comme la vision spectrale des sorcières prophétiques, comme le corps et la voix gutturale d’une Kathryn Hunter épatante, donnant un vrai cachet visuel au destin funeste du roi fantoche, son hubris, sa chute inévitable. Voulant se prémunir de tout académisme, Joel Coen troque l’habituel champ/contrechamp pour une succession de tableaux, joliment composés, dans lesquels on expose en pleine lumière le visage des acteurs et leur grand récital : l’âpreté, l’intensité et le mystère inhérent à la pièce se diluent alors dans ce tiède flot visuel ultra lisible, clinique, et finalement ennuyeux...


Un constat qui peut sembler surprenant, notamment pour un film au casting aussi impressionnant. L'idée d’engager des comédiens prestigieux, aguerris, semble a priori aussi judicieuse qu’originale : Denzel Washington charme par son charisme, ses traits vieillissants servant indéniablement la perfidie de son personnage. Tout comme la prestance de Frances McDormand est un atout pour affirmer le caractère trempé de Lady Macbeth. Seulement l’alchimie ne se crée pas et le courant ne passe jamais entre eux : ils semblent réciter leur texte, chacun de leur côté, sans vraiment jouer ensemble. Cette littéralité non transcendée, platement exécutée, donne à The Tragedy of Macbeth des allures minimalistes qui peinent à être véritablement cinématographiques. Pire, en privilégiant le personnage de Macbeth à l’écran, Joel Coen finit par dénaturer celui de Lady Macbeth et, par la même occasion, son propre film. Car c’est bien elle qui apporte au récit sa cruauté, sa noirceur, et provoque ainsi notre fascination. C'est le « méchant » qu’il faut soigner pour réussir son film, comme le disait Hitchcock. Or ici, avec une Lady Macbeth sagement reléguée au second plan, le film indéniablement perd en folie, en rage, en intensité dramatique. Tout semble trop terne, appliqué, statique, pour surprendre, émouvoir ou faire frissonner. Pour intéresser, tout simplement. Comme si Coen s’était réapproprié la pièce de Shakespeare en oubliant sa poésie singulière, cette poésie du mot, du geste, de l’expression, cette poésie de la vie et de la mort, des états d’âme et des élans du cœur, qui met en relief l’émotion et accroche des souvenirs à la mémoire.


Car si l’épure voulue par Coen met le verbe au centre de l’écran cela se fait paradoxalement au détriment de sa dimension poétique. Exprimés frontalement, machinalement presque, les mots de Shakespeare perdent en substance rhétorique, en charge évocatrice, pour composer ce qui sera un dialogue convenu, un langage bien plus anodin que poétique. L'élégance des images n’y changera rien, l’émotion n’apparait pas, les acteurs étant réduits à des débiteurs de texte. La même remarque se fait concernant la mise en scène, puisque les effets visuels de Coen ressemblent plus à de l’esbroufe qu’à une quelconque expression poétique (la fumée s’échappant par la fenêtre, la couronne volant au ralenti...). Le summum apparaît, évidemment, lors de la fameuse « marche » de la forêt de Birnam, puisque le cinéaste dénigre tout langage imagé au profit d’un tape-à-l'œil visuel daté (le vent qui ouvre les portes, les feuilles qui virevoltent...). On est loin de la séquence folle de Kurosawa, dans Le Château de l’araignée, qui avait su traduire graphiquement le sens profond du texte. Prisonnier de son dispositif esthétique, Joel Coen ne nous livre rien d'autre qu'un film à la vision étriquée et bien trop satisfait de ses petits effets...

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le 21 janv. 2022

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Procol Harum

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