Nostalgie contemporaine du Japon fantasmé

Pour être tout-à-fait honnête, je suis un petit peu déçu. Mais c'était bien quand même.
Comme chacun sait, et comme on s'y attendait grâce à l'affiche, l'esthétique est très réussie, des couleurs aux objets, en passant par les lieux et aussi les acteurs, même le ero senin est en parfaite communion avec l'idée qu'on se fait d'un vieux japonais démoniaque - qu'il soit ou pas japonais, de toute façon lui aussi est dans le fantasme.
Les plans sont beaux, avec des vues d'ensemble agréables, des changements de perspective sur les flash-back, qui nous permettent de ne pas nous ennuyer comme sur des flash-back ordinaires. Pas mal de vues secrètes, les personnages s'espionnent sans cesse, sont sans cesse espionnés, ce qui donne de la vie à la caméra.
Le Japon fantasmé de tout européen apparaît: costumes traditionnels, parures,cerisier en fleur, estampes, jardin japonais... avec l'univers érotique japonais: encore des estampes, et la fameuse estampe du poulpe


et aussi le poulpe lui-même!


Je place également le sadisme dans le fantasme, car bien qu'il participe au scénario, il n'apporte rien de neuf dedans (en même temps c'est vieux le sadisme et de nombreux ouvrages en ont déjà traité pour montrer ses avantages et ses limites). Il renforce l'univers du fantasme déjà présent dans ce film. Chacun des personnages vit dans le fantasme, dans ses illusions, dans ses désirs, et agit pour les voir se réaliser.


Seule Mademoiselle, le "cadavre", semble trop esclave pour avoir le moindre fantasme, mais elle se délivre bien vite et elle aussi poursuit ses rêves de liberté et d'amour.


Le spectateur lui-même se retrouve victime des fantasmes des personnages et des siens propres: tout le long du film on souhaite voir arriver la fin, mais comme l'histoire ne se révèle que peu à peu sous le prisme du désirs des personnages, on n'y croit pas tellement, et finalement on est surpris de voir se réaliser nos désirs.


Pour l'histoire, rien de neuf, l'escroc sans pitié escroqué sans pitié (j'ai tout de même eu du mal avec ce qui lui arrive à la fin). C'est sympa de voir des femmes de plus homosexuelles gagner, on voit qu'on est en 2019 et que tout de même ça avance. C'est vraiment le seul plus donné au scénario qui n'a sinon rien d'original, on s'y ennuierait presque, mais heureusement la façon dont il est raconté prévoit assez de rebondissements pour éviter cet écueil.


Pour ma part j'ai trouvé les scènes érotiques plutôt réussies. Effectivement, elles sont un peu clichées (ciseaux, boules de geisha, fouettage de cul, gémissements démesurés pour une simple caresse), mais tout de même elles sont sensuelles et vraiment érotiques, et sans être prudes elles évitent le vulgaire. Et je trouve que si le cinéma - avec tous les progrès dans les mentalités - s'autorisait davantage de films comme celui-là, peut-être que nous serions moins coincés, et meilleurs au lit.
Je sais qu'il n'est pas le premier, mais on ne peut pas encore dire "oh, c'est déjà-vu", car les films qui osent lever le tabou sur la sexualité sont encore rares. Oui, il y a des scènes "d'amour" de 20 secondes dans de très nombreux films. Mais tout de même, elles sont si prudes et si irréalistes! Pas de préliminaires, toujours le missionnaire, ou l'andromaque dans le meilleur des cas, les mecs bandent jamais mou, les femmes mouillent en 1/2 seconde, 99% des couples sont hétérosexuels, de pudiques ellipses cachent tout ce qui n'est pas digne de l'imagination d'un ado qui rêve à comment se passera sa première fois, il n'y a que le bruit des soupirs...
Bref, après on s'offusque en découvrant le succès des films pornographiques, mais si le cinéma était capable de faire des scènes érotiques dignes de ce nom plus souvent, qui reflètent davantage ce que peut dans la réalité être une relation sexuelle, dans ses nuances et dans sa variété, et pas de pâles imitations, si on avait des scènes qui apprennent quelque chose, qui disent quelque chose sur la vie (car oui, le cul ça fait partie de la vie), peut-être que les consciences, ainsi que les rapports sociaux s'en porteraient mieux.


Car oui, le cinéma, en tant qu'art produisant des objets culturels, se doit d'être le fruit d'une réflexion, et aussi la source d'une réflexion. S'il se contente de divertir, il ne vaut pas plus cher qu'un paquet de chips ou un film porno bas de gamme.


Donc malgré le peu d'attraits que j'ai pour le scénario, ce film restera en ma mémoire comme une œuvre agréable à regarder, qui tranquillement milite pour des idées encore assez neuves pour susciter le débat, comme on l'a vu dans les critiques.
Je reste déçu car j'essaie toujours de m'attendre à un grand film et que celui-là ne passe pas très loin mais rate quelque chose.

Créée

le 15 mars 2019

Critique lue 195 fois

1 j'aime

Critique lue 195 fois

1

D'autres avis sur Mademoiselle

Mademoiselle
Velvetman
7

Lecture sadienne et boules de geisha

Sous couvert d’un jeu de duperie où l’arnaque change constamment de propriétaire (la servante, l’héritière, le prétendant), la nouvelle œuvre de Park Chan Wook se mue en un objet filmique difficile à...

le 5 nov. 2016

129 j'aime

9

Mademoiselle
Kiwi-
9

Édulcorée(s).

Déjà reconnu pour ses incursions dans le domaine du thriller machiavélique diaboliquement érotique, Park Chan-Wook s'aventure avec « Mademoiselle » dans un film de manipulation opulent se déroulant...

le 23 mai 2016

109 j'aime

8

Mademoiselle
Behind_the_Mask
10

Une fessée s'il vous plaît

Sa beauté irradie, son charme fascine. Sa voix posée et monocorde, lors de ses lectures troublantes, ensorcelle. J'ai posé les yeux sur Mademoiselle pour immédiatement en tomber amoureux. Elle est...

le 7 déc. 2016

66 j'aime

20

Du même critique

Marie Stuart, reine d'Écosse
VioletteArdloch
8

Deux femmes dans un monde d'hommes

Un film intéressant, qui a le mérite de sortir des schémas habituels: au lieu de tout expliquer par le cliché d'un conflit entre deux femmes (forcément, comme chacun sait, les femmes ça ne sait pas...

le 16 févr. 2019

12 j'aime

2

The Haunting of Hill House
VioletteArdloch
5

Broderie sur chair décomposée

Ciel! (ou "Doux Jésus!" comme dit Madame Crain en VF) Que c'est long! Passée la curiosité impressionnée des premiers épisodes qui en jettent, il faut l'avouer, plus rien ne surprend, (à une...

le 12 août 2019

10 j'aime

1