Il y aurait presque un malentendu avec Madre et la dithyrambe ambiante que le film suscite. Ainsi, Sorogoyen brillerait ? S'inscrirait en opposition à ce que l'on attendrait d'une chronique du drame ? Serait imprévisible dans son cheminement ?
Vraiment ?
Oui, je vais encore une fois tempérer les ardeurs et le lyrisme. La justesse des sentiments et l'art de l'ellipse.
Car si Sorogoyen tranche dans le vif de son intrigue, mettant de côté l'aspect thriller dès lors qu'il dépasse l'argument de son court métrage / scène initiale, s'il se passe de ce qu'on attend de lacrymal et de dramatique, que reste-t-il ?
Il reste un personnage perpétuellement traversé par un sentiment de vide, comme anesthésié... Et qui, dans un élan contraire, décide de venir vivre près du lieu supposé du drame, pour ne pas oublier. Pour communiquer peut être au delà de l'absence. Elle-même semble absente. Elle semble avoir traversé une partie de ces dix années comme étrangère à son corps, après avoir sans doute remué ciel et terre, comme tend à le confirmer cette discussion surprise dans son dos, ce surnom de folle de la plage évoqué à plusieurs reprises.
Elle semble résignée, avant qu'un jeune homme fasse resurgir l'illusoire. Elle le suit. Elle l'épie jusque sur la terrasse de la résidence secondaire familiale.
Il reste un rôle tout en nuance transcendé par la grâce de brindille de la superbe Marta Nieto, dont l'intériorité vide remplit de manière paradoxale l'écran, avant de presque renaître (régresser ?) dans une rencontre où les sentiments s'entrechoquent et se chevauchent. Le rapprochement initié est ambigu, sans pour autant être réprimé.
Jean est-il celui le sang et la chair perdue qu'Elena recherche ?
Jean a-t-il compris de manière inconsciente qu'Elena est plus qu'une attraction de la maturité , une satisfaction du complexe d'Oedipe ?
La composition est gracieuse, délicate. Et le duo attachant, à l'évidence.
Sauf que l'on voit immédiatement, dès l'apparition des parents du jeune homme, où compte nous emmener Sorogoyen.
C'est à dire vers la séparation inéluctable et les traditionnelles barrières.
Mais il restera un chemin fragile que l'on a envie de ne pas voir se muer en impasse entre ces deux là, qu'Elena soit ou non qu'une passade de la jeunesse qui se découvre.
Mais le film aurait gagné, à mon sens, à restreindre son propos autour de Jean et d'Elena, de ne pas s'encombrer de scènes de fête grossières et inutiles, précipitant un peu plus encore la dissolution lente du cachet d'aspirine dérisoire que constitue le couple de l'héroïne, sans passion, sans débordement, uniquement conçu comme la protection d'une âme en souffrance.
La pudeur de Sorogoyen irrigue chaque instant, oui, mais elle côtoie aussi certains moments à la limite de la pose ou de la démonstration technique qui n'apporte pas grand chose au récit.
Mais il reste ce que Madre provoque et suscite : la compassion devant la (fausse) résilience, la fascination de l'intime et une attirance à la fois pure et trouble.
Behind_the_Mask, qui se demande ce qu'aurait donné un peu plus de Roman-esque.