Et l'homme créa le monstre
Le film s'est tellement ramassé un peu partout par les critiques que j'y croyais pas trop. Et c'est vrai que cette première réalisation comporte des défauts indéniables. Et pourtant, je n'ai pas passé un mauvais moment. Je trouve que le film comporte des qualités qui, si elles avaient été mieux traîtées, auraient pu donner un petit chef d'oeuvre.
Le scénario est simplissime. C'est pas plus mal puisqu'il s'agit avant tout d'un film d'arts martiaux (c'est d'ailleurs bizarre, je trouve, que le premier film d'une vedette américaine soit de ce genre). Ce qui m'a complètement subjugué, c'est le traitement des personnages. Déjà, on a affaire à un méchant tordu, complètement bouffé par le mal (ce regard, Keanu !) et puis ensuite, et surtout, on a ce jeune disciple qui sombre du mauvais côté de la force. Vous voyez ces films où le bras droit obéit bien sagement au chef alors qu'il est clairement plus balaise que lui, même qu'on sait pas trop pourquoi il prend pas sa place ? Et bien ce film pourrait expliquer comment ces chefs 'brisent' leurs hommes pour mieux les soumettre. Malheureusement, la narration perd de cette force digne d'une tragédie dans le dernier tier à cause d'un histoire policière mal cousue et d'une évolution aussi soudaine que facile du héros ; le retour à la lumière, on s'y attendait, mais sans doute aurait-il été plus intéressant de le traiter au travers d'un deuxième film. Ainsi le dyptique présenterait un premier film sur la chute spirituelle de notre combattant, le second sur la rédemption. Je suis sûr que tout le monde aurait pleuré. Ou alors éviter la rédemption et s'attarder sur une fin sombre, pessimiste.
Côté mise en scène, Keanu débute. Pas toujours une belle lumière (les intérieurs en lumière artificielle sont vraiment moches), des cadrages parfois étranges, un découpage qui ne met pas toujours en valeur l'action (pourtant des plans larges c'est toujours mieux pour rendre compte de la violence d'un combat mais il reste quelques mouvements de caméra qui accompagne les prises et qui sont agréables), des chorégraphies pas très bien travaillées (malgré les bonnes idées de mouvement, on sent bien que c'est faux : les coups s'arrêtent avant ou vont à côté exprès, c'est surtout flagrant avec le combat au baton dans la première moitié du film). Malgré tout, le film est sympa. Pourquoi ? Parce que Keanu se montre très généreux : beaucoup de combats, de bonnes idées scéniques. Puis c'est grâce à ce surdécoupage qu'il donne l'impression qu'il sait se battre à la fin ! N'oublions pas non plus le travail de montage : j'ai été surpris par le cut incisif de Keanu, qui lui permet ainsi d'ellipser pas mal de moments, de couper au plus court les tas de voyages. Cela paraît idiot, mais une bonne ellipse n'est pas simple à faire. En agissant de la sorte, Keanu ne s'offre que le minimum vital de temps mort (pour instaurer du rythme, laisser respirer son spectateur). Enfin, des bons acteurs : Keanu tout d'abord dans un registre de méchant (c'est devenu rare depuis Matrix) qui a la hargne (ce regard, Keanu !!) ; un héros qui n'en a vraiment pas la tête mais qui semble assez fort. Les seconds rôles sont assez inexistants, mais l'acolyte muet aux cheveux blancs reste en tête.
Bref, "Man of Taï Chi" est un film d'arts martiaux un peu maladroit, mais généreux et puis présentant une destinée torturée assez sympathique. J'espère que Keanu refera un film et qu'il traîtera ses obsessions avec plus de radicalisme, je crois que ça vaut le coup.