Mandibules ou l'histoire d'un auteur qui confond le fond et la forme (spoilers)

C'était avec une hâte non feinte que je m'étais jeté sur Le Daim dès sa sortie. Après avoir vu l'excellent Au Poste, je m'attendais, une nouvelle fois, à un film drôle, décalé, qui porte la signature Dupieux. Malheureusement, la déception fut immense. Je n'avais toutefois pas jugé bon d'en faire une critique. En réalité, j'imaginais ce film comme une légère sortie de route qui ne devrait pas venir ternir la filmographie de son auteur. C'est toutefois avec des attentes modérées que je m'installais devant Mandibules, que j'imaginais alors comme le film qui me réconcilierait avec Dupieux.


Il va sans dire que cela n'a pas été le cas. Mais commençons tout de même par les points positifs ; la mouche. Cette grosse mouche, animée, est très convaincante. Dès sa première apparition, elle apporte une touche humoristique certaine, avec tout de même, un côté menaçant. Bien sûr, la talent du Palmashow, associé à cette grosse bestiole, fonctionne au début du film. Les sketchs commencent alors à s'enchaîner. Et dès cet instant, on commence à entrevoir l'un des problèmes majeurs du film ; c'est peu ou prou un condensé de sketchs (un peu lourds) du Palmashow. Et même si les deux gaillards peuvent être très drôles pendant cinq minutes, tenir une heure vingt ainsi est clairement difficile. D'ailleurs, c'est peut-être personnel, mais les voix qu'ils prennent tout le film m'ont très vite agacé. Pourtant, lorsqu'ils avaient sorti leur propre film, La Folle Histoire de Max et Léon, ils avaient réussi à se détacher de leurs personnages bien connus sur Youtube pour construire une vraie histoire. Mais, chez Dupieux, ce n'est pas le cas. Ici, c'est sketch, taureau, sketch, taureau... Mais ce n'est même pas le plus gênant.


Passons rapidement sur le jeu des autres acteurs ; Roméo Elvis sonne faux, Adèle Exarchopoulos est en décalage avec le reste, les autres personnages sont transparents. Je peux comprendre le parti pris pour le personnage d'Agnès, mais force est de constater qu'il ne fonctionne pas. Sa première réplique peut pousser le spectateur à sourire, mais ce ressort humoristique devient très vite lourd, voire dérangeant pour le spectateur. Et d'ailleurs, il n'est finalement que très peu utilisé et n'a aucune finalité. C'est juste gratuit. Et cette observation est à l'image d'un nombre fou d'autres actions du film, qui sont condamnés à être vues, puis oubliées dans l'histoire, comme si elles n'avaient aucune conséquence. Lister tous les exemples m'est difficile, mais on pourrait citer pèle mêle, le propriétaire du camping car qui parvient à s'enfuir, l'incendie dudit camping car.... En fait, rien n'a d'impact sur l'histoire. Tout est centré sur ces deux personnages, qui évoluent dans un monde terne, comme deux individus en dehors de la réalité tangible. Un profond sentiment d'incrédulité s'empare alors du spectateur, face à ce long métrage, qui fait fi de toutes les conventions habituelles d'écriture. Les nombres de fusils de Tchekov désamorcés ou de scènes improbables est ahurissant. D'un côté, cette démarche peut être intéressante parce qu'elle s'oppose au cinéma classique qu'on a l'habitude de voir, mais...


Pour illustrer cette volonté de Dupieux de jouer avec les codes du cinéma, il suffit de se concentrer sur quelques exemples précis. Dès le début du film, Grégoire Ludig se voit confier une mission flirtant apparemment avec la légalité. N'importe quel spectateur, habitué un tant soit peu à consommer du cinéma américain, s'attend évidemment à découvrir une bande de dangereux maffieux. Sauf qu'il n'en est rien. Juste une banale livraison. Résultat : on est intrigué, décontenancé, interloqué. Et ce n'est qu'un exemple parmi d'autres. A un autre instant du film, les deux protagonistes s'endorment dans la voiture en compagnie de la mouche. Bien sûr, tous les spectateurs s'attendent alors à découvrir une surprise au réveil sauf que... Surprise, non ! Bref, je vais arrêter là avec ces exemples puisque je pense que tous ceux qui ont regardé le film ont perçu cette volonté de surprendre. Alors bien sûr, la démarche est intéressante. D'ailleurs, Dupieux est habitué à jouer avec les codes du cinéma pour livrer d'intrigants films. Sauf que ce qui était intéressant chez ce réalisateur, c'était la façon de détourner ces codes pour raconter une histoire. Ici, tout est vain. Ce film ne raconte rien, n'a aucune finalité, mais détourne de nombreux leviers cinématographiques pour raconter ce vide. Quentin Dupieux a poussé tellement loin ce désir de décalage qu'il livre ici un long métrage insipide, où il confond le fond d'une histoire et la façon de la raconter. D'où ce sentiment d'absence d'enjeux, voire même de manque de fil conducteur tant les personnages principaux sont en décalage avec le monde qui les entoure. Cette sensation peut d'ailleurs être renforcée par le traitement de l'image ; tout est plat, terne, sans consistance, comme un vulgaire fond projeté derrière deux comédiens pour faire croire à une histoire. Ce naufrage est évidemment dommage puisque les tentatives françaises de détournement sont assez rares pour être notées.


Pour conclure, Mandibules n'est pas un vrai film, mais une simple tentatives de détournement des codes cinématographiques largement utilisés aujourd'hui. Même si cette volonté est louable, Dupieux en oublie que ces mécaniques doivent être au service d'une vraie histoire et ne peuvent se substituer au fond d'une œuvre cinématographique.

PadawanLéo
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le 23 mai 2021

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