On ne m’en voudra pas d’avoir réalisé la même critique pour « Jean de Florette » que celle de « Manon des Sources » mais dans ce diptyque, les deux épisodes sont tellement interdépendants que les dissocier relève de la gageure…
L’ensemble m’a tellement plus que je ne compte plus le nombre de fois où je l’ai vu, revu, sans jamais me lasser…
Au point même d’acheter jadis les deux cassettes VHS que je conserve jalousement, sans désormais avoir le magnétoscope de lecture adapté, : les têtes de celui-ci se prenant pour les aiguilles d’une machine à coudre…
Mais quel bonheur que ces deux épisodes d’une histoire de famille bien complexe, quelle leçon de morale quant à l’âpreté de la possession de terrains agricoles dans certaines régions… Jean Gabin en avait fait lui-même l’amère expérience réelle, et aurait pu être ce Jean de Florette mais sous d’autres cieux…
Enfin, cette histoire est aussi la vengeance à titre posthume d’une petite fille qui avait vu son père, bossu, s’échiner au travail de la terre et de l’élevage, après avoir été percepteur, mais s’était tué à la tâche faute d’eau, alors qu’elle était là, sous ses pieds, mais que la baguette de coudrier censée la détecter, était restée raide comme la justice…
Quelle belle histoire aussi de deux amours, l’un comblé, l’autre pas…
On me reprochera peut-être d’abuser dans ce commentaire du nom « chef d’œuvre »… Mais Jean et Manon cumulent tellement de qualités hors-normes que je manque cruellement de synonymes…
Rendons à Claude Berri ce qui lui revient : je ne vais pas me lancer dans une longue biographie, mais c’est pour moi le chef d’œuvre de Claude Langman dit Berri (1934-2009) en tant que réalisateur de 24 films… Il était aussi scénariste, producteur, acteur, et grand amateur d’art moderne…C’est même pendant le tournage de « Jean de Florette » que sa maison fut cambriolée. Il sera mort avant de connaître le succès planétaire de son ultime production : « Bienvenue chez les ch’tis »…
Claude Berri avait du flair : il reprenait la plus belle des œuvres de Marcel Pagnol , toute de sentimentalité : ce dernier avait réalisé en 1952 un film « Manon des Sources » dont sa femme Jacqueline était l’héroïne, puis créé un prolongement « l’eau des Collines », diptyque constituant les deux parties de ce film portées à l’écran par Berri…
Une histoire parfaite, avec des acteurs parfaits : Yves Montand signe un chef d’œuvre lui aussi en ne jouant pas ce rôle mais en vivant le « papet » qu’il est jusqu'’au bout et qui apprendra à la fin du film une terrible nouvelle…
Gérard Depardieu réalisera lui aussi sa meilleure composition, comme « bossu » mais n’apparaîtra plus dans le second épisode… Il n’a heureusement pas encore ce côté sulfureux qu’il connaîtra par la suite, et son jeu de « cul-terreux » reconverti dans lequel il est certain de réussir, est joué avec une rare authenticité et beaucoup de sobriété. Son meilleur rôle à mes yeux…
Peut-être aussi parce que son épouse du film est aussi sa vraie femme maritalement : Élisabeth Depardieu, née Guignot, aujourd’hui âgée de 80 ans en 2022, ne divorcera de Gérard officiellement qu’en 2006…
Depardieu disparaîtra du deuxième épisode en même temps que sa gamine Manon : Ernestine Mazurowna dont on ne sait ce qu’elle est devenue…
Le rôle de Manon jeune femme est en effet repris par la superbe Emmanuelle Béart dont ce sera aussi le chef d’œuvre : à 23 ans, elle signe le film qui la rendra célèbre, le plus beau de ses rôles pour moi… Tour à tour séduisante, impitoyable…
Le rôle d’Ugolin semblait dévolu à Coluche qui déclina subtilement en demandant un cachet exorbitant, on murmura aussi celui de Jacques Villeret… Finalement, Yves Montand arriva à persuader Claude Berri de donner le rôle à Daniel Auteuil qui jusqu'alors n’avait pas eu l’occasion de démontrer ses capacités dramatiques ce qui inquiétait le réalisateur.
Un des acteur disait de lui : si Manon l’épousait, elle serait capable de le faire marcher sur le tête. C’est encore pour moi le chef d’œuvre d’Auteuil ! A noter que pendant la guerre, Pagnol avait réellement reconverti ses équipes de tournage à la culture des œillets qui est le travail d’Ugolin…
On verra comme petit rôle aussi Pierre Nougaro, le père du chanteur Claude…
Bruno Nuytten nous vaut des enregistrements photographiques inoubliables… Là encore, toujours le même souci de perfection de Claude Berri qui sait aussi soigner la musique de ses œuvres : ici c’est Jean-Claude Petit, 78 ans aujourd’hui, qui se colle à la baguette et nous laisse entendre une partition qui se confond à merveille avec l’intrigue.
Dommage, on n’entendra pas le chant des cigales…
Mon seul regret concerne la phase finale racontée par une femme aveugle, qui a connu la mère de Jean pendant la guerre, et qui narre ses souvenirs : lors de la première vision, je n’avais pas bien compris le rôle joué par Montand qui pour une fois aurait mérité un développement plus important sous forme de flash-back… ceci d’autant qu’à aucun moment, on ne ressent de lassitude en regardant ce film en deux temps…
Inutile de préciser qu’une pluie de césars s’est abattue sur cette œuvre, une des plus grandes du cinéma à mon avis.
Et qui a connu le succès populaire : les deux épisodes ont raflé les deux premières places du box-office 1986 avec successivement 7 223 657 et 6 645 177 spectateurs en salles françaises… Une vraie légende…
Paris 1° le 13.03.2023-26.03.2023-29.12.2023-