Cette peinture sans concession de l’hypocrisie sociale a quelque chose de fascinant ! Comment diable expliquer la conspiration du silence qui finira par enfermer Marguerite dans son délire, laissant croire à la soprano à la voix de crécelle qu’elle est une diva adulée ? Calcul, intérêt, cruauté, compassion, lâcheté, qu’est-ce qui motive son entourage à lui dissimuler la vérité ? Peu importent au fond les bonnes ou mauvaises intentions de ceux qui la côtoient : qu’ils la plaignent, l’instrumentalisent ou tentent de la protéger, leurs mensonges dressent entre celle qui y croit et ceux qui savent une barrière infranchissable. C’est ainsi que malgré l’affection que certains lui portent malgré tout, la solitude de l’improbable cantatrice est totale, emmurée qu’elle est dans ses illusions que nul ne cherche à contredire.
Alors, pourquoi ces mensonges ? C’est que Marguerite a du fric, beaucoup de fric. Tellement que sans en avoir sans doute pleinement conscience, elle peut tout se permettre, tout offrir ou tout acheter. Pas étonnant dès lors qu’elle soit entourée de gens intéressés, obséquieux, hypocrites, cruels ou simplement facétieux. Personnellement j’ai tendance à trouver plutôt affligeant cet autisme dans lequel s’enferment les classes les plus aisées et plaindre les "pauvres petites filles riches" - quel que soit par ailleurs leur âge, n’a jamais été mon fort. Pourtant, je ne peux m’empêcher de trouver émouvante cette femme qui s’obstine à jouer un rôle pour lequel elle n’est pas absolument taillée mais qu’elle embrasse avec tellement d’enthousiasme pour oublier la vacuité de son existence et ses déboires conjugaux, son mari ne réalisant que bien trop tard l’attachement qu’il éprouve pour cette épouse encombrante et passionnée.
Le centre d’intérêt se déplace au fur et à mesure que le film progresse : au rire et à la moquerie succède l’attente angoissée de l’insupportable vérité dont le dévoilement, nous le pressentons, mènera au drame, sans que nous puissions décider ce qui sera le plus insupportable pour l’héroïne lorsqu’exploseront les murs du mensonge : le fait de découvrir qu’elle n’a jamais eu le moindre talent ou celui de constater que son existence entière n’a jamais été rien d’autre qu’une lamentable duperie.
Un film magnifiquement servi par Catherine Frot qui prête à son personnage sa vivacité, son humour, son enthousiasme et mérite amplement son César pour la justesse de son interprétation. Un autre personnage qui m’a intéressée : celui de Madelbos, le serviteur photographe profondément attaché à sa maîtresse à qui il voue une passion aussi trouble qu’indéfectible.