Marius
7.9
Marius

Film de Alexander Korda (1931)

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Marius c'est d'abord un souvenir d'enfance.
Ma grand-mère, fille et petite-fille du maire d'un petit village sis à 35 kilomètres de Marseille, bisquait devant l'accent déplorable d'Orane Demazis. Toujours selon mon aïeule, Orane ne devait son rôle qu'au fait d'être la compagne de l'écrivain, ce qui, sans être complètement faux, n'était sans doute pas totalement justifié non plus.
(L'affection qu'elle portait peut-être secrètement à Pierre Fresnay semblait prémunir ce dernier des foudres grand-maternelles, quant à ses propres écarts idiomatiques).
Le tout entre deux expressions provençales dont elle avait le secret et auxquelles je ne captais pas grand chose, éléments de langage finalement très peu présents dans le film, sauf dans la bouche de Honorine, mère de Fanny.


Marius, c'est ensuite Marseille.
Avec un des premiers films parlants de l'histoire du cinéma français, se figeait déjà la légende et le folklore provençal. Qui de Pagnol ou de la culture locale a le plus nourri l'autre ? Voilà une question à laquelle, n'étant pas né en ce début de siècle dernier, je me garderai bien de répondre (n'étant moi-même pas adepte de l'exagération ou de la galéjade, tordant ainsi la cou à la légende, vous comprendrez que je ne veuille pas me prononcer).


Marseille est une ville tellement contrastée, tellement disparate, que depuis toujours ses habitants ont déployé des trésors d'imagination (appréciez la litote) pour atténuer ses terribles défauts, ce qui, dans le même temps (funeste conséquence) allait amoindrir la portée de leurs justes remarques soulignant ses éclatants atouts.
Ville d'excès et de qualités, dont une des qualités est l'excès, qui repousse autant qu'elle fascine, Marseille possède dans ses gènes une série de caractéristiques qui lui sont propres et qui semblent parfois immuables, malgré son mouvement perpétuel. Ayant il y a peu lu un roman formidable sur les populations noires qui peuplaient ses quartiers populaires (entre le vieux port et la joliette) dans les années 30 ("Banjo", de Claude McKay, que je vous recommande chaudement), époque correspondant exactement à celle du film, je me suis demandé, avant de le revoir, s'il y avait dans le métrage des signes du métissage inhérent à cette ville ouverte depuis toujours aux quatre vents du monde. J'allais vite être rassuré, les rares plans du port nous montrant, à chaque fois que cela est possible, des populations bigarrées et constitutives de ce lieu unique.


Marius, c'est enfin un film.
A l'image de son décor, Marius est un film dans lequel se côtoient les plus jolies qualités et quelques très vilains défauts.
La réalisation d'Alexander Korda, débarqué d'Hollywood par la volonté du producteur américain (qui avait d'abord voulu réaliser une version muette de la pièce de Pagnol, quelle farce !) est pour le moins engoncée. Presque estramaçonnée. Les rares mouvements de caméras sont maladroits, et le reste n'est qu'une série de plans fixes, dont la plupart se contentent de cadrer le bar de César, comme la pièce de théâtre assez pauvrement adaptée qu'elle est.
Deux des acteurs principaux, on l'a dit, ont un accent marseillais que ne renierait pas mon perroquet Croate et une ou deux scènes ont la légèreté du radiateur en fonte de la maison de la personne chaleureuse et aimée dont je parlais au début.
Mais à côté de cela, comment occulter le talent prodigieux d'un Raimu qui illumine la pellicule à chacune de ses apparitions ?
Bien entendu, je ne vous ferai pas l'affront d'évoquer ici les moments merveilleux appartenant au patrimoine national qui font de ce film un pur moment de bonheur éternel, car déjà quasi centenaire. (comment ça j'exagère encore ?)


Coquin de sort !
Bref, pas la peine d'en faire des tonnes, vous le voyez bien, puisqu'il me suffira d'affirmer sobrement que de ne pas avoir vu (ou revu, avant 10 ans, ça ne compte pas!) Marius et ses suites, c'est plus que méconnaitre un pan entier de la culture de la plus belle région du pays (et donc du monde): c'est tourner le dos au patrimoine mondial du cinéma.
Et vous faire ainsi prendre le risque de ressembler au portrait de Marius par son père lorsqu'il le voit amoureux: "t'as la figure pale, longue, triste… on dirait un anti-alcoolique!"


(à suivre, et )

guyness

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