Et c'est un peu l'état du mariage aujourd'hui, vu le constat dès qu'on jette un œil sur les statistiques du divorce en Occident. Je vous préviens d'avance : cette critique est celle d'une pauvre fille qui pense encore que le mariage peut être autre chose qu'une lubie temporaire, persuadée que beaucoup de gens divorcent par paresse (de cœur, d'esprit ?), et qui ne savent plus affronter les difficultés ensemble. Depuis le temps que les unions sur le long terme fascinent l'humanité et constituent la base de nos plus anciens mythes, on pourrait se demander à quoi sert Marriage story.
C'est pourtant un œil étonnamment frais et divertissant, acide et cruel en dépit de toutes les portes ouvertes enfoncées que nous propose Netflix. Et comme je ne suis pas non plus connue pour être une féministe convaincue, j'ai le regret d'annoncer à mes détracteurs (anciens, présents, et futurs), que ce n'est certainement pas ce film qui va me rendre plus affable quant au sort de certaines mères célibataires et à leur prétendu état de victime (outch, j'ai sorti la salière ce soir, dis donc).
Plus sérieusement, et après cette introduction épicée, le premier point fort de ce long-métrage réside en la performance incroyable d'Adam Driver. Je l'ai découvert en même temps que ce visionnage, et force est de constater que son talent d'acteur va de pair avec un charisme assez affolant, une voix de stentor dont les fêlures m'ont mis les larmes aux yeux, et dont la gueule étrange est aussi crédible que ce personnage de père aux ambitions acharnées, travailleur et certes décideur, mais pas moins tendre, attentionné et drôle. Scarlett Johansson continue de me laisser (presque) de marbre, et si je ne peux m'attaquer à son jeu, je n'ai pas été aussi bouleversée que je l'aurais voulu, la faute à un personnage impulsif, capricieux, émotif et dont les premiers revers sont directement responsables de l'escalade nauséabonde séparant le couple toujours plus violemment.
De cette observation est née l'interrogation qui m'a taraudée durant tout le film et qui, à mon sens est le seul réel point faible de l'oeuvre : quelle est la réelle posture de son réalisateur ?
Tout en faisant de ses personnages des hommes et femmes ancrés dans une certaine vie réelle (lui capable d'accomplir des tâches domestiques sans se faire prier, elle actrice de succès à Hollywood, Laura Dern en avocate retorse, et deux parfaits contre-exemples d'avocats masculins : l'un humain et bienveillant, l'autre enfoiré typique de Los Angeles), Noah Baumbach semble parfois faire du rétropédalage, en rendant insupportables les discours "strong & independant woman" de sa juriste, la manière dont Nicole monte son fils contre son propre père de la façon la plus insidieuse qui soit, la belle-mère à la limite de la débilité… Créer des personnages hauts en couleur, c'est bien. Les inscrire dans un tableau au sens un tout petit peu plus explicite, c'est mieux.
L'idéologie du film demeure ainsi brouillonne, et travaille ainsi peut-être contre lui-même, en nous rendant bien plus attachant un Charlie se battant comme un beau diable dans le domaine ingrat de la représentation théâtrale de New York, souhaitant être un bon père (contrairement à ce que fut le sien, comme le suggère son background), et privilégiant le dialogue et le calme aux emportements et aux coups de pute classique qui accompagnent malheureusement fréquemment un divorce. Difficile de compatir envers une Nicole prompte à jeter à la tronche de son mari ses propres ambitions brisées, lui reprochant de s'être fait manipuler (on est passé à deux doigts de la qualification ouverte de "pervers narcissique"), à l'aise comme un poisson dans l'eau dans le star-system d'Hollywood et allant jusqu'à hacker l'ordinateur de son mari pour lire ses mails dans le plus grand des calmes, son attitude rendant l'adultère unique de son compagnon presque risible et dérisoire en comparaison. La souffrance du père luttant pour conserver le lien avec son fils éloigné de 5000 kilomètres, la scène de l'entaille aux bras et sa symbolique forte (littéralement le fait de "se saigner aux quatre veines" pour un gosse ingrat et une ex-femme mesquine), et le jeu impressionnant d'Adam Driver, à genoux devant ce tournant de vie devenu dramatiquement monnaie courante font mouche, et le tire-larmes n'est ni pathétique ni surfait, couronné par une fin en demi-teinte, injuste et terriblement triste (portes qui se ferment, père lentement mais sûrement écarté du cocon familial, devenu littéralement un "fantôme" et "l'homme invisible" pour Halloween)
Pertinent, et réhabilitant d'autant plus le rôle des pères facilement écartés par les tribunaux, les gardes d'enfant restant souvent attribuées à la mère.
De quoi créer un véritable débat, et reconsidérer certaines idées toutes faites, pas toujours là où on les attend.
Enfin, hommage à la scène d'introduction du film, parmi l'une des plus touchantes, sincères et drôles que j'aie eu l'occasion de voir dans une œuvre de ce genre.