Un film d’animation en stop motion, quasiment noir et blanc et saturé d’anti-héros à qui il n’arrive rien, si ce ne sont les brimades quotidiennes subies par les exclus : charmant programme, et matrice d’un chef d’œuvre.


Soit deux personnages, un juif new-yorkais obèse de 40 ans atteint du syndrome d’Asperger, et une fillette australienne coincée entre sa mère alcoolique et les humiliations de la cour de récréation. Le hasard initial d’une correspondance va mettre en place un échange épistolaire sur 20 ans, matrice géniale pour croquer le portrait vibrant de deux solitudes. Car l’écriture, restituée en voix off, va priver les personnages de dialogues directs et instaurer une double dynamique, graphique et textuelle. Leur confession pose les mots sur un univers restreint, où chaque objet prend une valeur affective, d’un show télé à l’importance démesurée accordée à la nourriture, substituts au désert social. Les mots sont définis, voire réinventés, de façon à dessiner les traits d’un univers généralement muet, dont le spectateur devient le témoin privilégié et ému. Mary et Max s’épanchent, et diffusent d’un continent à l’autre le chant de tristesses qui se transforme en un duo progressivement moins sombre.


Graphiquement, l’image prend le relai, d’un pompon rouge venant égayer une chambre sinistre à un regard en surplomb sur la ville, dans une animation superbe où la pâte à modeler restitue à merveille toutes les inflexions de ces sensibilités à fleur de peau. La séquence de la tentative de suicide, ballet macabre et lyrique, est ainsi un des sommets du film.


Au sein de cette noirceur, au gré de ces fréquentes ruptures occasionnées par les crises de l’un ou les déconvenues de l’autre, la poésie s’installe. Il n’y aura point de magie, point de happy end, et la fuite des années n’enclenchera pas nécessairement la maturation ou l’amélioration. Les silences s’installeront, l’absence aura sa part dans cet échange chaotique. C’est précisément dans cette lucidité que se loge la dimension bouleversante de Mary & Max : une empathie pudique, qui prend à bras le corps la vie dans ce qu’elle peut avoir de plus cruel, et la scrute jusqu’à en déceler quelques fragiles étincelles. En dépit de la maladie, des maladresses, de la triste et fatale répétition des mêmes faiblesses, l’homme est un individu qui parle. Et c’est du partage que surgit la couleur, que s’ébauche un lien ténu avec la vie, celle des autres, aussi brisées soient-elles.


Mary et Max restitue cette évidence, avec une pudeur et un sens visuel d’une rare pertinence, et s’inscrit d’emblée parmi les films d’animation indispensables.

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le 17 oct. 2015

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Sergent_Pepper

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