En quelques (excellents) films - Bullhead et De rouille et d'os en tête - Matthias Schoenaerts a imposé son style : un jeu animal, taiseux, douloureux, violent et instinctif. Assez proche, dans son impassibilité, dans sa difficulté à communiquer - et dans l'esthétique qui l'entoure - de celui de Ryan Gosling - même si, pour moi, l'acteur belge l'emporte largement sur le terrain de l'expressivité du regard.


J'avais hâte de découvrir Maryland d'Alice Winocour, en compétition à Cannes en 2015, et c'est peu dire que je n'ai pas été déçue. Je lis ça et là que le scénario est vide, inconsistant, qu'aucune réponse n'est donnée quant aux différentes pistes qu'il lance - tout cela est vrai. Seulement, d'après moi, ce film est avant tout un film d'ambiance, porté par une esthétique puissante, une photo impeccable - tout le talent de la scénariste de Mustang est là. L'oeuvre repose ici quasiment tout entière sur les larges épaules d'un Schoenaerts qui aura rarement dégagé autant de sex-appeal sur pellicule.


L'histoire est en effet mince - et semble faire écho, comme j'ai pu le noter, à l'affaire Ziad Takkiedine, dont les zones d'ombre sont encore aujourd'hui nombreuses. D'où sans doute l'impossibilité du scénario de se "mouiller" plus avant dans son parti-pris.


Mais peu importe : on est happé, dès le début, par ce récit qui tourne autour de la protection d'une belle jeune femme triste et de son fils, par un ex-soldat mutique, souffrant vraisemblablement de choc post-traumatique. L'intelligence du scénario, c'est de merveilleusement ménager l'ambiguïté et les vraies-fausses pistes : Vincent est-il paranoïaque, comme semble le montrer son visage, sans cesse à l'affût du moindre mouvement ou bruit suspect, ou tout se passe-t-il seulement dans sa tête ? La bande-son - redoutablement efficace -nous invite à la méfiance, suscite l'angoisse, nous permet d'entrer dans la subjectivité du personnage pour ne plus nous permettre d'en sortir.


L'installation de la tension est impeccablement maîtrisée, le huis-clos dans la grande maison truffée de caméras est une trouvaille intéressante en termes de suspense : d'où surgira la menace ? Une grande partie des plans sont tournés de nuit, ce qui renforce la peur, le mystère, le surgissement de craintes irrationnelles. Il ne se passe rien, mais tout peut arriver d'un moment à l'autre : Alice Winocour parvient avec brio à nous tenir en haleine par la puissance de la suggestion et l'absence de clarté et de réponses.


Ennemi non identifié, hallucinantes scènes de violence, cœur qui s'accélère en suivant une simple lampe torche, ombre qui se faufile sans bruit - le tout porté par la prestation de bête blessée de Schoenaerts : tout ce que j'aime dans le cinéma. L'absence d'exploitation intime des personnages n'est pas bien importante finalement car c'est le cadre qui importe ici, et la mise en tension d'une situation qui demeure obscure dans ses motifs.


Mon seul petit regret - et il est bien minime, au fond, bien midinette :


Je pensais quand même voir un petit rapprochement épidermique entre le sublime Mathias et la belle Diane, mais non - me voilà bien frustrée.


Thriller psychologique empli de mystère, film d'action sombre, tendu et flippant : une très bonne surprise, que je recommande chaudement !

BrunePlatine
8
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le 15 mai 2016

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