Matrix Résurrections fait comme tous le cinéma de divertissement d'aujourd'hui qui se revendiquent de l'héritage des décennies passées. Mais il y a un bug dans la Matrice, Lana Wachowski. En effet, à la différence des films qui prennent leur héritage pour balancer à la chaîne les références comme on balance les billets dans un club de strip-tease, la réalisatrice, secondée par David Mitchell, psychanalyse l'état et l'évolution du cinéma blockbuster d'hier à aujourd'hui dans un trip méta clairvoyant d'une inventivité folle.
De manière plus imagée, Matrix R., que l'on appellera Hulk, prend son héritage, qu'on appellera Loki, et le fait virevolter dans tous les sens. Une déconstruction audacieuse du mythe.
Ce film est le véritable héritage d'un précédent cycle, le nouveau commencement d'un précédent commencement. Un héritage qui ne gerbe pas des lignes de codes dans tous les sens. Ce film on peut à peine tenter de le définir, il est un cas unique, comme une nouvelle catégorie dans le cinéma. La mise à jour d'une précédent construction si on reste dans l'esprit de la thématique. La réflexion est aussi cynique que pleine d'espoir.
Matrix Résurrections est par ailleurs un film qui porte bien son nom et ce à niveaux. S'il ne révolutionne plus le monde des effets visuels, il a l'ambition de créer un nouveau style de cinéma hybride, le cinéma d'un seul film qui ne pourra ni être copié ni être égalé dans la pensée narrative que l'oeuvre dégage. Hybride qui n'est ni une suite, ni un reboot, ni un remake. Cela serait réduire une oeuvre à ce qu'elle n'est pas et à ce qu'elle veut analyser.
Il y a une certaine naïveté qui rythme cette mise en abyme, des maladresses dans des dialogues parfois trop explicites, trop conscients de cet héritage et de la nécessité d'en retirer autre chose que ce que le cinéma des années 2020 produit déjà depuis quelques années. Mais cette naïveté est nécessaire. Nécessaire parce qu'elle est profondément sincère, une donnée devenue rare dans un monde qui se numérise à une vitesse impossible. Il ne faut pas se méprendre, Lana Wachowski n'en est pas aigrie pour autant, au contraire sa réflexion accepte le monde dans lequel nous sommes et l'applique en prenant le contre-pied de tout ce à quoi on pouvait s'attendre.
Le long-métrage est généreux, ses comédiens et comédiennes investis dans un projet aux proportions universelles. C'est un grand voyage dans le temps qui se retourne constamment pour contempler l'avenir. Jamais il n'est coincé dans une nostalgie qui refuse de grandir. La réalisatrice nous balade entre les mondes et les réalités, elle ouvre une porte vers l'inconnu et nous transporte dans ce metaverse monumental avec un sens affûté de la dramaturgie et du grandiose.
Ce quatrième opus est en somme l'antithèse accomplie et assumée d'une décennie de cinéma de divertissement sans imagination où l'art cinématographique n'a fait que s'uniformiser, dans l'unique démarche mercantile.
Une chronique ambitieuse, une audace qui s'immisce dans tous les pans de l'oeuvre. Si l'on devait résumer plus simplement Matrix Résurrections, ce qui en soit est une aberration, nous pourrions le définir comme une leçon de cinéma pour le cinéma.