Cette guerre qui n’en finit pas (…et que la Matrice gagne à chaque fois)

Une fois de plus il sera question de cette fameuse guerre...
Cette guerre qui boucle sans cesse à chaque nouveau film.
Cette guerre qui se rejoue en permanence et qui semble sans fin.
Cette guerre qui ne connait que de très rares déviations et qui finit toujours de la même manière…


Cette guerre, c’est celle de l’auteur contre le producteur.
C’est celle de la vision contre le rendement.
C’est celle de la création contre l’exploitation.
Une guerre que la « saga » Matrix connait trop bien pour l’avoir jouée à chaque épisode.
Une guerre qui parfois peut donner lieu à de grandes avancées (et le premier opus peut en témoigner), mais une guerre qui, ces derniers temps, a tendance à toujours pencher du même côté, au détriment et au profit des mêmes…
…Et étonnamment, c’est de cette guerre là dont, un bref instant, Lana Wachowski a voulu nous parler.


C’est LE trait de génie de ce film.
Le seul malheureusement. Mais il est là.
Il fallait bien un pilier du blockbuster étatsunien comme peuvent l’être les Wachowski – et une certaine souplesse de la Warner – pour qu’on puisse encore espérer ça ; j’entends par là une expression singulière.
Une vue d’artiste.


Après vingt ans de silence et une trilogie qui a très vite sombré dans le grand spectacle absurde, échappant manifestement des doigts de ses auteurs, Matrix revient, et il revient au pire moment.
Il revient en ce début de décennie 2020 où l’avengerisation de l’industrie cinématographique étatsunienne est à son paroxysme.
Tout projet d’envergure ne peut désormais y être que déjà installé, franchisé, standardisé et conformisé. Et dans ce pire monde possible, Lana Wachowski a donc tenté un contrepied – un geste fort – et le temps d’une demi-heure, elle y est partiellement parvenue.


Parce qu’en effet, Matrix Resurrections commence tout de même de la plus singulière des manières.
La scène du premier opus est quasiment rejouée à l’identique. Des spectateurs/acteurs constatent la chose et le verbalisent.
« Deja-vu. »
Toute la logique du moment est alors ici illustrée à l’extrême ; une logique tellement mise en avant qu’elle en est même mise en abyme.
Une logique absurde dont s’extraie alors Wachowski sitôt le temps de l’introduction est-il passé. Une rupture est alors posée. L’abyme se creuse davantage et s’offre en conséquence au spectateur surpris un regard déroutant de Matrix sur Matrix ; mieux encore, de Lana Wachowsky sur elle-même.
La guerre est alors nommée. Verbalisée. Symbolisée.
Etonnamment c’est en brisant le quatrième mur lors de ce quatrième opus que l’auteure parvient soudainement à lui redonner de la consistance, à la fois dans son fond, dans ses personnages, dans ses enjeux, mais aussi dans son propos…
…Jusque dans son essence.


Cette demi-heure fut certainement l’une des plus belles promesses que m’aient offert ces derniers temps un blockbuster US. Et même si je regrettais déja ça ou là des choix formels trop artificiels – à la fois dans les dialogues que dans la photo – que malgré tout j’appréciais de me sentir enfin ainsi sorti de ma routine.
Matrix 4 était en train de me dire quelque-chose. Il m’emmenait quelque-part. Je ne savais pas quoi. Je ne savais pas où…
Divine sensation que celle-ci...


Seulement voilà, cette petite demi-heure, c’était visiblement le créneau que Warner avait accepté de concéder à l’artiste car après ça, sitôt la pilule rouge gobée, que le film se met soudainement et littéralement à céder à toutes les exigences d’un board de 2021.
Multiplication des références aux opus précédents pour satisfaire les fans : check.
Multiplication des scènes d’action à outrance dans une bouillie synthétique immonde : check.
Javellisation de toute profondeur discursive pour être remplacée par des conneries à base de gros méchants et de pouvoir de l’amour : check.
Confusion à outrance du scénario pour que les spectateurs évitent de se rendre compte qu’on leur raconte rien : check.
Ajout de quelques droïdes mignons pour faire sourire les enfants et vendre des goodies : check.

Euh…
…Attendez, j’ai pas confondu avec Star Wars là ?
Ah non… Au temps pour moi. Il y a bien eu des droïdes mignons qui couinent dans ce Matrix 4.
(Raclement de gorge avant de reprendre l’énonciation de la liste.)
Saupoudrage de symbolismes moralistes bon teint : check.
Ultron ? check.
Annonce à la fin de l’épisode qu’une nouvelle saga se prépare : check.
Impression en sortant de la salle d’avoir assisté à un décalcomanie du premier opus mais en plus vide, plus moche et plus bruyant : check.
Terrible sensation d’amertume au sortir du film. Impression d’avoir été pris pour un demeuré l’essentiel du temps : check.
Envie de tuer un chat : check.


Mais que c’est triste…
Cet aveu de défaite, mais - que - c’est -triste.
Parce que oui, moi c’est tout ce je retiens de ce film : c’est cette première demi-heure. Le reste, j’avoue que je l’ai déjà pratiquement oublié.
J’ai trouvé ça moche, bête, chiant… Au bout d’un moment je ne suivais d’ailleurs déjà plus l'intrigue. Et si Spider-Man ou Doc Strange avait surgi lors du combat final que je ne m’en serais même pas surpris.


En fait ces trois derniers quarts je ne les considère même pas au moment où j’écris sur ce film.
Tout ce que je retiens c’est cette première demi-heure durant laquelle Lana Wachowski semble nous dire : « Bon, si je ne l’avais pas fait, la Warner l’aurait fait à ma place. Alors j’ai préféré prendre les devants pour qu’ils me laissent au moins une petite demi-heure de liberté avant d’accomplir leur sale besogne. »
Ce film résonne presque dans ma tête comme une vidéo tournée par des ravisseurs, avec l’otage qui parle au début suivie derrière d’une longue séance de torture.
C’est malaisant au possible…
…Et étonnamment c’est tout ce que je sauverais de ce Matrix 4.


Car oui, Matrix Resurrections a beau être durant les trois quarts de son temps le même produit standardisé et infâme que tous les autres blockbusters de son époque, il n’empêche qu’il contient aussi en lui une ébauche d’acte terroriste manqué ; un acte qui, pour le coup, rappelle à l’identité de ces révolutionnaires des débuts ; ceux qui ont cherché à hacker le système de l’intérieur en forçant le passage à grand coup de mitrailleuses et de bullet time.
Vingt ans plus tard, les hackers ont été hackés : Lilly Wachowski a disparu, Lana de son côté annonce ouvertement qu’elle est prisonnière – consentante ou non – de la Matrice, quant à Neo et Trinity ils peuvent afficher à la toute fin leurs sourires factices ; celui de savoir qu’ils ont été ressuscités pour rebooter et relancer le système avant d’être certainement remplacés par de futurs liftings numériques d’eux-mêmes.


Drôle d’impression d’ailleurs que de quitter ce film sur un tel final.
Un final presque distopyque tant il fonctionnerait comme l’Adaptation de Spike Jonze, où on annonce à l’avance pourquoi ça va être de la merde et puis ensuite faire ce qu'on a annoncé sans qu’au final ça ne surprenne vraiment.
En même temps peut-on s'en surprendre quand on regarde ce que l'industrie est parvenue à imposer comme standards depuis une bonne décennie ?
Peut-on s'en surprendre quand on sait que les Wachowski elles-mêmes se sont déjà vautrées par le passé (et non sans complaisance) dans ce genre de cochoncetées abêtissantes ?
Les « moutons » (pour reprendre les termes du film) restent dans leur confort. L’appel à l’aide et au gobage de pilule rouge en début de film était de toute façon voué à l’échec.
La Warner – en puissante Matrice cinématographique – était tellement sûre de sa victoire qu’elle a laissé faire.


Drôle de guerre que celle dont nous parle cette Ressurection donc.
Une guerre qui semble désormais perdue d’avance…
Mais une guerre visiblement destinée à être rejouée encore et toujours…


…Jusqu’à ce qu’agonie s’en suive.


J'ai hâte.

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le 23 déc. 2021

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