Tant de douceurs dans ces mondes de brutes
Matrix 4 est une réussite à de nombreux égards. Et sincèrement, après 20 ans, on pouvait vraisemblablement redouter le pire… Cependant, Lana Wachowski a réussi le pari de revenir en jouant la carte de l’authenticité.
(Attention, à partir d'ici, un peu spoileralert)
Tout d’abord, je dois admettre que Lana Wachowski m'a fait boire du petit lait car, il y a 20 ans, lorsque je disais que Matrix et Fight Club racontaient la même histoire, avec le même héros, on se moquait allègrement de moi. Ainsi, lorsque j’ai vu que le film s’ouvrait sur l’hypothèse de la psychose, je n’ai pu que sourire.
Ensuite, je pense que tous les grands films sont des oeuvres sincèrement (et parfois confusément) autobiographiques, et c’est intensément le cas ici. Lorsqu’on connait un peu l’histoire de la réalisatrice, on ne peut que voir Matrix 4 comme une immense chambre d’échos et d’égos où le féminin se réconcilie avec le masculin pour ensuite lui venir au secours. C’est également l’histoire de 2 artistes* qui remettent l’oeuvre sur le métier en redoutant les résultats de cette Résurrection : pour ceux qui trouvent que j’exagère, souvenez-vous de la scène de Niobe, commandant en chef d’Io disant à son inséparable cheffe biologiste “Nous voilà de nouveau reparties en guerre, j’ai peur”.
Enfin, il faudra parler du style. Si cinématographiquement, on est dans du estampillé Matrix, il faut tout de même saluer la finesse du scénario qui nous propose des jeux de mises en abyme jouïssifs, on l’histoire raconte l’histoire, dans un balai subtil de miroirs qui renvoient aux reflets d’autres miroirs et finalement rebondissent sur les didascalies de l’écriture même du film, de sa réalisation et de ses négociations ; à cet égard, les scènes de développement du scénario du “nouveau jeu” où les marketeurs et experts en neuroscience donnent des avis lénifiants sur tout et surtout sur rien sont hilarantes.
Si Matrix 4 est une réussite, il a pour autant ses imperfections. Je ne m’attarderai pas sur le passage ridicule du Mérovingien dont je me demande encore si ce n’est pas une gratuite pique trumpiste lancée à la “vieille Europe” ; mais je regretterai amèrement les scènes de baston, et en particulier la scène finale qui manque singulièrement de raffinement et, disons-le, de crédibilité. À mon sens, la seule utilité de cette scène est de préparer les ventes des futurs jeux qui ne manqueront pas de débouler sur le marché. Mais là encore, s’inspirer des grands chorégraphes et stylistes comme Tarantino n’aurait pas fait de mal ; au pire, s’inspirer du travail des animateurs de Ready Player One. Mais non, ce fut de la stupide baston un peu sous-marvelien (c’est dire!).
Néanmoins, malgré cette dernière scène que Lana Wachowski a probablement abandonnée à une boîte de synthétisation de testostérone, je garderai avant tout le souvenir de ces échanges intimes entre Néo et Trinity, tant de douceurs dans ces mondes de brutes.
- je n'arrive pas à me faire à l'idée que Matrix 4 est du seul fait de Lana Wachowski. Si sa soeur n'est pas créditée à la réalisation de cet opus, j'ai le sentiment que pourtant le duo habite tout le film, si ce n'est de facto, au moins par esprit de sororité.