Dernier épisode et conclusion de la trilogie, Matrix Revolutions est censé dénouer la narration, ou plus exactement boucler la boucle, en un final très attendu qu’on espère aussi spectaculaire que surprenant. Niveau spectacle, rien à dire, on y est : l’opus est



un pur film de guerre,



magistralement écrit et dirigé, rythme tendu. Dans l’autodestruction, les sociétés qui s’opposent ici atteignent le point de conflit paroxysmique, ça défouraille à tout va sans que la narration ne reste sombre un seul instant jusqu’à nous propulser de plein fouet vers la résolution. Mais côté surprise – il est vrai que je l’ai vu quelques fois déjà – le final, aussi jouissif soit-il visuellement, n’apporte rien d’extraordinaire ni de foncièrement subversif : à force d’effets et d’explications opaques et alambiquées, les Frères Wachowski échouent à transformer leur trilogie en coffret incontournable parce qu’ils échouent simplement à renouer avec l’urgence du scénario initial.



Pourtant l’imminence de la fin sourde longtemps



et dès le premier plan, en suite directe à l’épisode précédent : près du corps de Neo, inconscient sur ce plan, coincé quelque part entre la matrice et la réalité des machines, gît celui que s’est trouvé l’agent Smith afin d’infiltrer ce réel nauséabond qui lui échappe. Tout se joue bien plus là, dans cet affrontement longtemps latent, que dans l’opposition frontale et martiale qui oppose les hommes et la machine : tous les espoirs de l’humanité ne reposent finalement que dans



la sublimation christique de l’élu,



dévoué à l’avenir au-delà de sa propre existence, prêt à donner son corps pour que du souvenir de son sacrifice naisse une société d’acceptation et de paix, renaisse l’histoire des hommes et continue le cycle naturel, immuable autant que chaotique et incertain, de l’adaptation.


Matrix Revolutions assume donc jusqu’au bout la mystique d’un messie fantastique venu faire le lien entre l’homme et la machine dans un décor de symbiose steampunk aux élans gothiques. C’est bien de cette maîtrise raisonnée du progrès qu’il est question, avec l’importance de toujours recentrer les projets en élaboration autour de la nature humaine, sans jamais l’agresser ni la dévoyer. De toujours recentrer les objectifs à leur utilité sans s’arrêter à leurs fins. De comprendre, au sens premier, prendre avec le monde qui nous accueille, pour le façonner sans contraintes astreignantes et comme une voie d’accession au bonheur commun autant qu’à l’épanouissement individuel. Une manière de souligner combien les révolutions doivent prendre en compte



le déséquilibre inhérent à la nature humaine



pour esquisser leurs fragiles équilibres et s’assurer d’un point d’ancrage fort dans les mentalités, bienveillant, afin de perdurer. Un parallèle de l’existence où l’enfant ne franchit les barrières de l’aventure qu’à l’adolescence avant de se débattre longtemps pour envisager enfin l’angle d’une réponse possible, insatisfaisante parce que contraignante de choix à énoncer, à assumer.


Le corps du film est une longue, très longue mais admirable, prenante et angoissante scène de bataille : les machines envahissent la retraite secrète des survivants de l’humanité qui jettent leurs dernières forces autant que leurs derniers espoirs dans un combat perdu d’avance. Où le sacrifice, la résistance prennent le pas avec rage sur la résilience. Où l’insoumis Neo suit sa propre voix lointaine, intérieure, nette et floue à la fois, suit sa propre voie hors de la matrice, hors du champ des hommes, pour aller sublimer l’évolution en une appréhension supérieure, extraordinaire. Pour, retour ultime, en revenir à la base de la trilogie dans ce duel final, sous la pluie après le feu des machines : dans la matrice vidée de ses exécrables relents d’humanité, où l’élu, l’homme conscient, donne ses derniers souffles de résistance, graines d’avenir,



contre une morne uniformisation mortifère.



Avec quelque chose qui, paradoxalement, touche autant au don de soi qu’à la vanité.


Matrix Revolutions ramène au sol les atermoiements de Matrix Reloaded et referme le cycle sans éviter les défauts de l’évidence christique. Comme le prix à payer pour sublimer justement l’altruisme indispensable à l’équilibre de nos existences dédiées à la construction d’un vivre-ensemble qui se doit de satisfaire tout le monde sans heurter qui que ce soit.
L’aventure a été dense, pleine de splendides effets, maîtrisée avec une délicieuse minutie, œuvre de cinéma où le mouvement narre à chaque instant,



discours en projection constante.



La fin de la boucle tombe un peu à plat dans l’insatisfaction d’une réponse en condamnation sisyphale, mais pouvait-il en être autrement ? Objet de son temps assurément, aux résonnances fortes dans la décadence à l’œuvre depuis sa sortie, la trilogie pose les Frères Wachowski comme référents d’une conscience populaire bienveillante, portés sur les avancées sociales et inquiets des restrictions de libertés individuelles auxquelles les impératifs de rendement du capital nous soumettent de plus en plus.



Rage, positivisme et libertarisme.



L’essai est magnifique, les deux tentatives de transformation le sont moins mais la cohérence complexe de l’ensemble souligne l’implication profonde des deux frères dans ce projet à part de l’histoire récente du cinéma américain : novateur autant dans la forme que sur la pertinence essentielle du fond.
Avec cet



ultime retour de la pensée construite, de la réflexion profonde et raisonnée, dans les circonvolutions aériennes du spectacle et du divertissement.


Matthieu_Marsan-Bach
7

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Créée

le 9 avr. 2017

Critique lue 216 fois

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