Gabriel et les lieux de son enfance.

La première scène annonce la tonalité formelle du film, la distance et l’identification à venir avec son personnage principal. Un homme est nu sous la douche, saisi à travers le reflet d’un miroir, dans l’encablure d’une porte. On lui repère un important hématome sur le flanc droit. Le cadre et le reflet marquent une distance certaine avec lui, un mystère à résoudre, une présence fantomatique. Sa nudité et sa blessure annoncent une proximité et une fragilité. Tout cela le film ne cessera de le déployer, s’accrochant à ce personnage, entre apathie et bienveillance, afin de percer cette carapace autant que de lui laisser sa part de mystère, comme il en est souvent question dans le cinéma de Mia Hansen-Løve : On se souvient de Victor dans Tout est pardonné, de Grégoire dans Le père de mes enfants, de Sullivan dans Un amour de jeunesse. Mais depuis L’avenir, ce personnage indomptable est passé au centre du récit. C’était Nathalie, alors confrontée à une liberté qu’elle n’avait encore envisagée, lorsque son mari la quitte. C’est Gabriel ici, face à une liberté qu’il n’attendait plus, puisqu’on apprend vite qu’il a échappé à quatre mois de captivité en Syrie.


 Maya c’est donc d’abord l’histoire d’un retour. Celui d’un journaliste de guerre retenu prisonnier de Daech, sur le sol syrien. De ces quatre mois nous ne verrons rien, puisque le film s’ouvre sur ses premiers soins après son retour : Prendre une douche, se raser. De ces quatre mois nous ne saurons pas grand-chose tant le leitmotiv de Gabriel sera d’oublier cette captivité, de feindre de ne pas l’avoir vécu, jusqu’à ne pas oser regarder les images d’exécution de son collègue de détention. Ne pas se morfondre même s’il peut éclater en sanglots, sur son lit, probablement réveillé par des souvenirs douloureux, des cauchemars terribles. Ne pas profiter non plus d’une telle expérience pour tenter de réparer ce qui était cassé avant son départ : Lorsqu’il retrouve sa petite amie (la toujours frêle et magnifique Judith Chemla) on ne doute pas un seul instant de ses sentiments, pourtant on apprend bientôt qu’ils s’étaient séparés avant le départ de Gabriel. Ça n’a apparemment plus d’importance pour elle. Ça en a beaucoup pour lui. Sa thérapie ne s’appuiera pas sur ce retour mais sur un autre. Un retour aux sources. Un retour à l’enfance. Et son enfance, Gabriel l’a vécu en Inde.
C’est alors que le film peut opérer le glissement qu’il couvait sagement. Un glissement dont est coutumière Mia Hansen-Løve. Il peut s’illustrer sous la forme d’un décès (Le père de mes enfants), d’une absence (Un amour de jeunesse) ou d’un nouveau départ, comme c’est le cas ici. L’un de ses plus beaux glissements : une ellipse marquée par un cut frontal accompagné d’un fondu de klaxon : On est avec Gabriel dans une voiture à Paris, le plan suivant nous le retrouvons à l’arrière d’un taxi à Bombay. Il faudrait voir ce film ne serait-ce que pour cette idée de cinéma absolument magistrale. Le film trouvera plus tard des moments de magie sidérants, à l’image de la scène un peu inattendue avec la maman (qui m’a foutu en miettes), d’une traversée de ruines, d’une simple baignade ou de tout un tas de petits glissements magnifiques au point qu’il surprend sans cesse, mais jamais il n’offrira (c’est sa limite) une idée aussi incroyable que cette ellipse.
Où est la Maya du titre là-dedans, somme-nous en droit de nous demander un moment ? On en fera bientôt la rencontre. Car tout nouveau départ chez Mia Hansen-Løve aboutit sur une rencontre. Avant de retourner dans la maison de son enfance, Gabriel retrouve une autre parcelle de ses origines : il rend visite à son parrain qui gère un complexe hôtelier sur les hauteurs de Goa. Et il rencontrera sa fille. Maya. Pour moi c’est une rencontre aussi impromptue et providentielle que celle de La femme de l’aviateur : Chercher quelqu’un et rencontrer quelqu’un d’autre, qu’on ne voudra plus laisser partir – Comme dans le final du dernier Kechiche. Si la cinéaste cite Le rayon vert comme étant son inspiration première ça n’est pas un hasard : C’est l’un des plus beaux voyages mélancoliques, vers l’inconnu et la plus belle rencontre miraculeuse que le cinéma ait jamais offert. Mais c’est dans son déploiement que cette rencontre va s’avérer la plus intense, d’une élégance absolue, finesse d’écriture et de jeu, vertige de mélancolie que la réalisatrice n’avait peut-être encore jamais atteint.
Il n’y a pas beaucoup de cinéma aujourd’hui avec lequel je me sens aussi en phase que celui défendu par Mia Hansen-Løve. Et ça dure depuis dix ans. Depuis Tout est pardonné, premier long métrage miracle. Même Eden, qui me semble assez raté, me séduit pour ce qu’il est et surtout pour ce qu’il ne tente pas de ne pas être. Les défauts qu’on lui pointe (ici, mais aussi dans Un amour de jeunesse pour l’acteur notamment) je ne les vois jamais. Quant à Roman Kolinka c’est simple je le trouve parfait, c’est un personnage typique du cinéma de MHL et il le campe à la perfection. C’est un cinéma qui fonctionne sur des soubresauts minuscules, des interstices magnifiques, des pas de côté inoubliables. Et quelle grâce dans sa façon de filmer l’Inde. Quant Maya s’en va sous les notes de Nick Cave & the bad seeds et son bouleversant Distant sky, mes larmes s’accompagnent d’une interrogation : Comment fait-elle (Mia Hansen-Løve) pour cumuler autant d’élégants choix ? Quelle chanson magnifique pour finir un film. Bref, c’est une nouvelle merveille.
JanosValuska
8
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le 5 mars 2019

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JanosValuska

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