Au-delà de ses fameuses parenthèses stylisées à l'extrême, ployant sous les références artistiques en tout genre (moments beaux en soi, mais plein d'une solennité que l'on peut se permettre de trouver pompeuse), Melancholia se démarque par ses choix esthétiques, qui font se télescoper la forme "réaliste" du Dogme (ou tyrannie du cadre tremblant) avec une histoire de fin du monde. Ici, la mise en scène épouse le tumulte intérieur de l'héroïne: dans toute sa torpeur nauséeuse (LVT prend le pari de ne pas faire un seul plan réellement fixe), le film s'avère aussi insupportable à vivre pour le spectateur que la vie l'est pour Justine. Par là-même, Lars Von Trier crée en nous ce même désir de fin que chez son héroïne (du monde pour elle, du film pour nous). En cela, dans sa forme, Melancholia apparaît comme un film étonnement conceptuel, au dispositif limite, comme s’il ne valait que pour l'issue qu'il met en oeuvre.
Le film trouve néanmoins une vraie justesse du discours sous ses oripeaux d'entreprise terroriste: si formellement, Von Trier force à adopter le point de vue "déséquilibré" de Justine, il a le bon goût de laisser une porte de sortie pour son spectateur. En effet, le réalisateur d'Antichrist pose des archétypes pour mieux s'en détacher: le film va bien au-delà de la simple dialectique du pessimisme éclairé (à travers Justine, qui a visiblement les faveurs du cinéaste dans le récit) opposé à l'optimisme superficiel (incarné par sa soeur, Claire). A bien y réfléchir, la position la plus enviable dans ce petit théâtre de la condition humaine reste celle du petit garçon, qui aborde la mort de la même manière que la vie: comme un jeu, un poème. Perversement, LVT nous met face à notre propre innocence à jamais perdue (puisque nous serions proprement incapable de réagir de la sorte à l'approche de notre propre mort), mais le cinéaste transcende ce sombre constat en y puisant la matière d'un ultime acte de générosité, salutaire et réellement bouleversant: Justine, celle qui connait, accepte et désire l'apocalypse, devient celle qui protège l'enfant, par l'entremise de l'imaginaire et de ses puissances d'incarnation (le tipi).
Même si pour cela il a recours à des caractérisations irritantes par leur schématisme, LVT fait partie, c’est indéniable, de ces cinéastes (de plus en plus rare, donc de plus en plus précieux) qui affirment une vision du monde éminemment singulière et sans concessions. L’esprit névrotique de l’artiste étreint le film à travers le regard particulièrement amer porté sur l'optimisme et les préoccupations de la majorité, qui n'a pas le courage, probablement par manque de recul, de se résigner face à l'inéluctable (Sutherland, en scientifique hypocrite et lâche, Gainsbourg qui finit par sombrer dans l'auto-apitoiement pathétique). Constat cruel: celui qui n'accepte pas les lois de la nature n'est pas digne d'empathie. Chez Von Trier, les malades et les enfants sont les véritables sages de ce monde.
On saura gré à LVT de nous proposer une vision de l'homme éminemment personnelle et donc passionnante, à travers une étude de caractère particulièrement juste. Pour autant, ses "trucs" de mise en scène, inhérents à sa réputation de cinéaste radical, et sa tendance à parfois jouer complaisamment de la morosité poisseuse de son univers font de Melancholia un moment de cinéma apte à susciter davantage la répulsion que le plaisir, hormis le climax final vers lequel tout converge. Alors... la fin justifie-t-elle les moyens ? En un sens, oui: les cinq dernières minutes vont vous mettre à genoux. En un autre, non: puisqu'auparavant, il aura fallu subir les affres d'un film inégal, long et nauséeux.