Il y aurait tant à dire sur Le Lambeau, son sujet, sa construction, sa prose, son rapport à la réalité... Car Le Lambeau est un livre complet, incroyablement précis et dense, particulièrement immersif grâce à l'honnêteté sans fards, sans patos et sans excès de son auteur.


Avouons-le son style n'est pas des plus légers. Composé d'anecdotes et de références littéraires ou musicales assez bourgeoises brodant autour d'une trame narrative allant de l'attaque du 7 janvier dans les locaux de Charlie Hebdo jusqu'au bout des étapes hospitalières de la reconstruction physique et psychologique de son narrateur, la manière très digressive d'aborder des sujets particulièrement lourds car absolument pas fictifs faits de chair et de sang pourra en rebuter plus d'un. De plus ses références ne sont pas puisées dans le vivier le plus populaire qui soit; Bach, Kafka et Proust notamment, et pour les plus accessibles, seront ses compagnons de lutte dans le cocon précieux du narrateur dans lequel il est parfois difficile de s'identifier. Mais peu importe que le name dropping de Lançon nous écarte souvent de l'intrigue médico-socio-psychologique (mais jamais du sujet !) et égare l'esprit du lecteur moins armé culturellement que son auteur, Philippe Lançon arrive toujours à retomber sur ses pattes en dosant brillamment son récit pour éviter de le rendre indigeste et prétentieux aux moments même où nous pourrions l'en suspecter (encore que, d'un point de vue strictement personnel, j'aurais très bien pu avoir la faiblesse de reprocher à Lançon les mêmes travers, et de cultiver donc la même admiration, que ceux qu'il reproche lui-même à Marcel Proust).


Question contenu, Le Lambeau est un pavé de puissance littéraire qui prend à la gorge dès le début, l'attaque des locaux de Charlie Hebdo étant racontée de manière très intérieure, intense, avec l'élégance d'éviter le (trop) morbide ou l'immanquable tentation voyeuriste. La suite diffère sensiblement en faisant le récit du parcours hospitalier qui en est la conséquence, prouesse littéraire d'avoir pu rendre intéressantes les réflexions sur l'univers de la chirurgie de pointe et la condition psychologique du patient, sujets et contexte qui, a priori, auraient moins matière à tenir en haleine qu'une attaque terroriste devenue sujet politique et citoyen.


J'ai terminé Le Lambeau hier et, depuis, j'ai beaucoup de mal à m'en sortir complètement, de la même manière que Philippe Lançon ne souhaitait plus quitter ses chambres d'hôpital. Morosité ambiante, choc littéraire ou effluves survivantes de l'intensité du récit, nous ne sommes plus ici dans l'ordre du bon livre de chevet mais dans celle de l'expérience de vie et du témoignage qui ne pourra laisser personne indifférent à la réflexion, quelle qu'elle soit.

BenoitBarbibul
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le 24 mars 2019

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Benoit Barbibul

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