Il y a des films qui sont difficiles à aborder au premier coup d'œil. Malgré la majorité des critiques positives et très encourageantes qu'a reçus Memories of Matsuko, les premières secondes du film avec ses couleurs agressives et saturées ont tendance à désorienter rapidement: un énième OVNI made in Japan? C'est une éventualité rapidement confirmée lorsqu'on s'aperçoit qu'on est directement balancé dans les fantasmes délirants et le pessimisme déprimant d'un jeune homme ayant perdu ses rêves en cours de route. Shô Kawajiri (Eita) vit seul à Tokyo dans un appartement insalubre, il a vite renoncé à son rêve de devenir musicien pour passer son temps à glander et mater des vidéos porno, négligeant au passage sa petite amie qui commence sérieusement à s'ennuyer. Mais la visite inattendue de son père va venir épicer son quotidien. Il lui apprend l'existence de Matsuko, sa sœur et donc la tante de Shô, qui avait quitté le foyer familial subitement et qui vient de décéder à l'âge de 53 ans. N'éprouvant aucun remord et pressé de rentrer, il confie à son fils le soin d'aller nettoyer son appartement. C'est alors que la vie de Shô va prendre un virage inattendu. A peine entré dans l'appartement de sa tante, il va découvrir la vie mouvementée d'une jeune femme gentille et douce, la tête remplie de rêves mais extrêmement naïve et malchanceuse en amour. Une femme morte seule, ne laissant presque rien derrière, si ce n'est quelques souvenirs impérissables et regrets semés dans l'esprit des gens qu'elle a rencontrés sur son chemin.


Malgré le synopsis assez triste et dramatique, il serait mal venu de croire que les mouchoirs vont s'empiler pendant deux heures. Malgré les défaites et le destin qui s'acharne sur Matsuko, le film fait preuve d'un implacable optimisme. Et pourtant elle en bave! Depuis toute petite, Matsuko rêve de vivre un conte de fées, en grandissant elle ne pense qu'à trouver l'homme de sa vie, celui avec qui elle partagera tout. Son avenir semble tout tracé lorsqu'à 23 ans, elle se fait licencier de son travail de professeur de chant alors qu'elle tente d'aider un de ses élèves, qui finit par se retourner contre elle. Elle fuit alors le foyer familial en pensant sa vie finie et les galères continuent. Mais malgré un mariage raté plongé dans la violence, les relations amoureuses éphémères et humiliantes, les jobs dégradants la menant à la prostitution, la prison, les coups, Matsuko finit toujours par se relever et se mettre à espérer de nouveau, chantant joyeusement une nouvelle chanson d'amour un peu clichée dans des décors tout droit sortis d'un rêve éveillé. Elle refuse catégoriquement de vivre seule et préfère se retrouver dans une relation douteuse en s'entichant du premier venu, plutôt que de connaitre la solitude. Et malgré de nombreux passages frustrants (car on aimerait tous faire un gros câlin à Matsuko), il n'est pas rare de lâcher un petit rire maladroit lorsqu'on la retrouve par terre après une énième relation désastreuse lâchant un "pourquoi?" désespéré. Tel un cuisinier devant ses fourneaux, Tetsuya Nakashima (Kamikaze Girls, The World of Kanako) a su doser parfaitement les ingrédients de son oeuvre et les émotions déclenchées par l'histoire et le personnage principal, en se moquant gentiment de la naïveté de Matsuko qui continue de donner sans jamais rien demander en retour et, en colorant son œuvre de bout en bout de couleurs pétantes et autres loufoqueries. La façon de filmer l'histoire fait parti de l'originalité débordante dont fait preuve le réalisateur, entre drama Japonais et roman-photo, les expressions et mimics en gros plan et autres mouvements sont souvent surjoués avec l'impression d'avoir mis les dialogues par-dessus et en accélérant le tout x1,5. Ce traitement, qui peut à première vue donner le tournis et quelques nausées aux habitués des films épurés, est en fait très efficace pour apporter l'énergie inépuisable dont fait preuve l'œuvre de Nakashima et réussir à raconter l'histoire originale de Matsuko en deux petites heures sans jamais s'ennuyer.


Lors de sa petite enquête, Shô rencontre toute une palette de personnages hauts en couleur et tous plus originaux les uns que les autres qui vont lui apporter quelques détails supplémentaires sur la vie de Matsuko: le voisin punk antisocial et complètement déjanté qui l'a connue lors des dernières années avant de mourir la décrivant telle une sorcière un peu cinglée, l'actrice porno qui a rencontré Matsuko en prison et qui est devenue sa meilleure amie, le Yakuza et dernière relation de Matsuko qui réalise son mea culpa bien trop tardivement, etc… Shô, habituellement peu enclin à écouter les gens, leur prête une oreille attentive et petit à petit se rapproche de sa défunte tante, voyant en elle un exemple à suivre. Car si le père de Shô est persuadé qu'elle a gâché sa vie, peu de gens ont tendance à vivre les expériences inhabituelles qu'a connues Matsuko, tout en restant soi-même du début à la fin; et cela Shô l'a bien compris, voyant en sa tante un modèle de bonté à suivre. Miki Nakatani, dans la peau de Matsuko, est rayonnante, changeant de look à chaque période importante de sa vie, chantant et dansant, nous arrachant facilement un sourire ou une larme lors des derniers instants de sa vie et le tomber de rideau qui la ramène à la maison. Memories of Matsuko est une petite friandise à savourer sans complexe, une œuvre dure et triste mais compensée par la douceur et la gaieté de son personnage principal, une bande originale soignée qui se mêle parfaitement à la narration dont une comptine qui suit les pas de la jeune femme de son enfance jusqu'à ses derniers instants; mais aussi l'énergie insufflée dans l'histoire par un réalisateur un peu fou.


~Magete Nobashite ohoshisama wo tsukamou...~

-Jun
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le 10 nov. 2018

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