En 2003, du haut de ses 34 ans, Bong Joon-ho n'était pas encore l'immense star incontesté de la planète cinéma. Pourtant, c'est justement entre 2003 et 2009 qu'il a réalisé ses meilleurs films, dont ce sidérant Memories Of Murder qui a indéniablement marqué les mémoires de l'époque.
Les légendaires serial killers cinématographiques, inspirés par de véritables tordus ayant œuvré aux quatre coins des États-Unis, ont considérablement marqués les esprits des spectateurs. Tout d'abord avec le (très) célèbre Psychose de Hitchcock qui a été le premier grand succès du genre et qui inspirera bons nombres de scénaristes à se focaliser sur de réels psychopathes tels que le couple Martha Beck / Raymond Fernandez (Les Tueurs De La Lune De Miel en 1970), Henry Lee Lucas (Henry, Portrait D'Un Serial Killer en 1986), John Wayne Gacy (Gacy en 2003) ou encore Ted Bundy (Ted Bundy, lui aussi réalisé en 2003). C'est donc également cette année-là que Bong Joon-ho se lance à corps perdu dans la toute première affaire de serial-killer coréenne qui resta définitivement non-classée.
Corée du Sud. 1986. Le corps d'une jeune femme violée puis assassinée est retrouvé dans la campagne environante. Deux mois plus tard, de nouveaux crimes similaires ont lieu. Une unité spéciale de la police est alors mise en place, sous les ordres d'un policier local et d'un détective spécialement dépêché de Séoul…
En réalité, les faits se sont déroulés entre septembre 1986 et avril 1991 et ont traumatisé tout le pays. Responsable de la mort de 10 femmes âgées de 14 à 71 ans, le seul et unique serial killer sud-coréen (jusqu'ici) a définitivement réussi à échapper à la justice malgré l'acharnement des enquêteurs pour lui mettre le grappin dessus.
Le film, à 100 000 lieues des spectacles nord-américains du genre (Le Silence Des Agneaux, Seven, etc.) possède une fibre dramatique et humaine extrêmement rare., transcendant littéralement les notions du polar. De plus, les manifestations estudiantines contre la dictature de Chun Doo-hwan hantent ici les écrans de télévision, situations paralysant l'armée et la police qui se verront indéniablement vaincues en 1987 grâce au soulèvement de 5 millions de personnes (dont Bong Joon-ho lui-même, tout juste âgé de 18 ans). Quoi qu'il en soit, la démocratisation du pays et la proclamation de la Sixième République ne permettront pas pour autant l'arrêt des meurtres du serial killer.
Usant d'un inlassable humour noir pour narrer son récit, Bong Joon-ho grossit ainsi les aberrations de l'enquête menée par deux enquêteurs aussi stupides que violents, reflétant certainement l'image que le réalisateur conserve de sa lutte lors des manifs. Les deux policiers incapables se voient ainsi rejoints par un enquêteur bien plus posé en ce sens. Enfin jusqu'à ce que ses propres limites prônent. Car finalement, il n'y a absolument aucun héros dans Memories Of Murder, juste des êtres humains tentant de résoudre un mystère où s'entassent des suspects sexuellement pervers, handicapés mentaux ou encore antisystèmes.
Le réalisateur a par ailleurs longuement enquêté sur cette affaire afin d'en tirer le plus parfait des scénarios. Et beaucoup d'aberrations, à l'instar de cette voyante conseillant l'un des policiers à déplacer l'entrée du commissariat de 10 mètres vers la gauche (ce qui a été réellement fait), démontre combien le cinéaste s'est plié à de très nombreuses exactitudes liées à l'affaire. Mais c'est surtout sa volonté à établir la stupidité de la police sud-coréenne de cette époque qui reste certainement le plus hallucinant dans cette véritable histoire. Et Bong Joon-ho s'en donne à cœur joie tout en conservant, paradoxalement, une grande tendresse pour ses personnages.
Et si le réalisateur s'amuse donc à régler quelques comptes avec la police d'alors, vampirisée par des années de dictature, Il n'en reste pas moins qu'il embellit son travail en ne perdant jamais de vue le fond de son œuvre. Car en plus d'être un conteur hors pair, l'homme reste un metteur en scène exceptionnel. Et si l'assassin reste ici méconnaissable, à l'image de Jack l'Éventreur, il n'empêche que le spectacle se voit littéralement transcendé par le travail de toute l'équipe technique, fabuleuse à plus d'un titre, qui nous offre ici une IMMENSE œuvre d'art cinématographique.