Disons-le d'emblée, Midsommar est un piège redoutable. Car si le film se présente comme l'histoire d'une résurrection, il raconte en réalité celle d'une lente chute en enfer au milieu d'une nature charmante, en pleine lumière, un étrange rictus aux lèvres.


Dani, l'héroïne du récit, connaît un traumatisme fondateur qui la prive de tout cadre familial. L'événement est d'autant plus cruel qu'elle en avait une sorte de pressentiment. Tout le prologue du film utilise d'ailleurs la pesanteur de cette attente pour faire aller croissant le malaise de son personnage, et celui du spectateur, jusqu'à l'avènement de la tragédie. Et, alors que le pire semble déjà là, vient s'ajouter une perverse couche de rejet de Dani par les proches qui lui restent.


Si la forme du film marque autant, c'est qu'elle est entièrement au service de son propos. On pense évidemment au retournement littéral qui marque l'arrivée des personnages dans un nouveau décor, mais c'est aussi un usage régulier de la symétrie dans la composition des plans qui vient interpeller le spectateur : un tel sens de l'ordre a quelque chose d'étrange, de décalé, peut-être même de suspect.


Le récit aurait sans doute gagné à ne pas diluer son énergie dans les passages obligés du genre horrifique, notamment le systématisme dans la manière de faire disparaître les personnages, qui ennuie rapidement. Ari Aster devait en être conscient, tant les personnages secondaires se réduisent souvent à des archétypes, presque aussi vite arrivés que disparus. On peut même pousser l'analyse jusqu'à dire qu'ils sont autant d'oripeaux dont Dani doit se débarrasser dans le cadre de sa purification, du dépassement de son passé. Dès lors, ils n'importent pas, ni à elle, ni au film.


Car ce qui se joue dans le voyage initiatique de Dani est beaucoup plus subtil, vénéneux en réalité. Et c'est tout à l'honneur de l'oeuvre que de ne pas avoir recours aux procédés habituels du cinéma d'horreur, voire d'en prendre le contrepied : l'action se déroule en plein jour, avec un rythme relativement lent, sans recours au gore ni aux jumpscares faciles. Ces choix permettent l'instillation d'une horreur perverse qui prend le visage du doute plutôt que de la laideur, et ce ton est peut-être la plus belle liberté du film.


La plus grande force de l'oeuvre est sans doute l'ambivalence du parcours de son personnage principal. Arrivée dans le village en tant qu'étrangère, littéralement pour les autochtones, figurativement pour ses amis et son compagnon, mais aussi pour elle-même tant son paysage mental est bouleversé, Dani va arriver douloureusement à la liberté. La radicalité de la fin du récit élargit même l'éventail des interprétations dans des proportions franchement audacieuses. C'est le cadeau empoisonné du film, qui lui permet de rester dans les têtes après l'avoir terminé : quel est le sens de cette succession d'événements ? S'agit-il d'une chute ou d'une émancipation ? Nous ne le saurons sans doute jamais, et c'est une très bonne chose.

Larsen
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le 17 août 2020

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