Le film s’ouvre sur une histoire d’amour pitoyable. Christian s’apprête à quitter Dani, conseillé par sa bande d’amis éclectiques. Dani est fragile, prend des médicaments, a une sœur bipolaire et souffre d’émotions crues, paraissant excessive pour un regard glacé, maître de soi. Dani, Josh, Mark et Pelle programment un séjour en Suède, dans le village de ce dernier. Pendant trois mois, les étudiants anthropologues souhaitent découvrir la vie de la communauté, et la fête inouïe du solstice d’été, qui a lieu tous les 90 ans. L’occasion et le prétexte sont parfaits pour abandonner Dani, ce qu’on souhaite, tant leur couple a mué l’amour en exécrable obligation. Malheur, la sœur de celle-ci se suicide, et les parents sont balayés dans le drame. On emmène Dani dans le périple, terrible pitié et résignation.


Beaucoup ressortent perplexes, goguenards, et il faut les comprendre. Un véritable film d’horreur ne consiste pas en une série de gore et d’effroi auditif, l’horreur en tant que genre est une horreur réflexive. La part terrifiante tient dans le psychisme mis à mal. Le bouleversement opère dans Midsommar car la structure scénaristique, accompagnée des couleurs blanches, sous un soleil (in)hospitalier et permanent, choisit la radicalité. Le film pointe le malaise occidental, avec les cachets, le suicide et la lâcheté d’un couple insipide. Il se débarrasse vite du thème, et plutôt que de s’enfermer dans une démonstration de lapalissades, Ari Aster construit une œuvre réponse.


Deux conceptions s’opposent, sur cette unique terre. Le système capitaliste, l’Amérique universitaire et ses membres passionnés d’altérité, aimant le différent pour servir leur future carrière, la névrose de la case départ. De l’autre bord, un village d’illuminés, où l’on parle suédois. Le modèle comparatiste ne se contente cependant pas de binarité excluante. Les personnages sont fascinés par la micro-société, et l’on retrouve des variations thématiques. Pendant les jours sans nuit, la drogue rythme les journées, naturelle et puissante comme celles de synthèse. Ce ne sont pas deux mondes qui s’opposent, mais une proposition de vivre-ensemble, où la violence, la folie et la mort sont revendiquées, à la différence de la société en miroir, la nôtre, qui joue l’autruche sur la dimension morbide. La séquence de l’arrivée en voiture chez les Hagariens s’effectue par retournement de caméra, et suggère un upside down, le revers du monde, avant de reprendre position, et la route et le ciel de retrouver leur digne position. S’il n’avait re-renversé l’axe filmique, Ari Aster aurait raté son plan. Re-renverser esthétise un retour à l’humain. Les Hagariens imposent un mode de vie communautaire stricte et anti-individualiste, agaçant par la douceur de ses membres, s’identifiant comme une famille, se nommant « frères et sœurs ». Le brio du réalisateur est d’oser penser la différence sans féerie ni sublimation. La communauté fonctionne sur l’atroce, qui l’est pourtant moins que le mensonge occidentalo-centré qu’il nargue. La monstruosité n’est jamais qu’humaine.


Ils sacrifient et se sacrifient, dans une injustice clairvoyante, où l’individu renonce à son individualité. Pourtant, le premier des partages est celui de l’autre. Les émotions sont collectives, et la simplicité accompagne la joie d’un amour, d’une danse et de décès programmés. Le sexe est communautaire, quoique l’acte ne se joue qu’à deux – ce qui pousse un étonnement tirant aux rires dans la salle. Les membres se réapproprient la souffrance, ce qui éclaire notre agacement envers Dani. D’une femme meurtrie à laquelle on refusait toute compassion, l’on glisse vers la gêne de la lui avoir refusée. Ce dont nous sommes incapables, pour des raisons structurelles et raisonnables, se modifie dans la texture contextuelle de cette communauté. Rien n’est plus agréable qu’une manipulation où l’on se sent perdu et considéré. Réfléchir l’alter dans ses nuances psycho-démentielles enrichit celui qui la médite, et qui veut se connaître en tant que partie d’un reste. Mieux vaut toucher l’ineffable qu’y renoncer. L’impulsion nordique appuie sur cette étrangeté, rappelons-nous Thelma de Joachim Trier.


Ensemble, les Hagariens vivent les émotions, et expérimentent sans nombrilisme. Cette pratique permet de ne plus s’embarrasser du superflu ou de l’inextricable. On pourrait bien sûr contredire cette lecture d’un collectivisme sensitif, et les arguments ne manquent pas. Ce serait philosopher l’époque en niant la démarche d’un artiste. Midsommar est une frappe où ce n’est pas l’homme qui change mais son environnement qui l’éjecte. Voilà la réponse.


On ressort terrifié de la valeur qu’attribuent les Hagariens au cosmos.

Faust-In
8
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le 9 août 2019

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Faust-In

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