"Le temps est bon, le ciel est bleu..."

> Are you not disturbed by what we just saw ?

demande une Dani bouleversée et tremblante à son petit ami qui semble bien trop occupé par ses propres petits problèmes pour prêter attention au malaise ambiant qui s'instaure au fur et à mesure du festival du Midsommar. La question semble directement s'adresser au spectateur qui, tout comme les personnages, s'est laissé prendre au piège par l'atmosphère onirique et presque féérique des longues journées ensoleillées de ce mois de mai suédois.
C'est qu'Ari Aster a une nouvelle fois frappé un grand coup : avec son premier long métrage sorti en 2018, le brillant Hereditary qui a marqué les esprits, le réalisateur a su, en l'espace d'à peine deux ans, se faire une place parmi les grands noms du cinéma d'horreur. Ici, il reprend des thèmes déjà ébauchés dans son précédent film tels que la cellule familiale, le deuil, les rituels païens voire les sectes, thèmes étirés sur une durée de presque 2h30, format assez audacieux pour un film d'horreur, et qui aurait de quoi en décourager plus d'un si l'atmosphère et la mise en scène n'avait pas été aussi impeccablement maîtrisées.

Nous suivons donc le périple d'une jeune fille endeuillée, Dani, qui à la suite du décès brutal de sa sœur et de ses parents, décide d'accompagner Christian, son petit ami de longue date (on notera l'ironie de l'onomastique, celle d'un nom à connotation chrétienne pour désigner un personnage égoïste, orgueilleux ou luxurieux) et ses amis en Suède où doit se dérouler un festival païen qui n'a lieu que tous les 90 ans, le Midsommar. Pelle, l'un des membres du groupe qui semble au passage le seul à réellement comprendre la douleur de la fragile Dani, possède d'ailleurs de la famille au sein de cette communauté si particulière, aux sourires angéliques et aux costumes traditionnels immaculés. Dani plonge donc dans cette sorte de décor parallèle (qu'un inventif retourné de caméra viendra nous suggérer au cours d'un voyage sinueux sur la route), un lieu où la temporalité semble être celle de l'éternité que de longs plans presque ralentis et une douce musique appuient doucement, un lieu où le jour et la lumière semblent ne jamais devoir disparaître mais cachant pourtant une part d'obscurité indéniable.

On pourrait d'ailleurs y voir là une référence au Jardin des Délices, un triptyque de Jérôme Bosch où les personnages, sujets à leurs passions, se livrent à des danses ennivrantes parmi des étendues paradisiaques d'herbe et d'eau. En effet, chaque image semble se transformer en tableau, tant la géométrie des plans est parfaite. Un véritable jardin d'Eden en somme. La nature, en outre, dans Midsommar, semble magique : à ce titre, le trip au LSD offre un voyage psychédélique plutôt intéressant puisque celle-ci y apparaîtra comme vivante, respirante, prenant même possession du corps de la jeune fille. Mais le rêve tournera bientôt au cauchemar, et Aster, après avoir assoupi son spectateur par de longs travellings et de plans séquences lumineux et le spectacle sensuel de jolis sourires de bienvenue et des corps blancs virevoltants, instaurera une forme de memento mori au sein de cet univers trop beau pour être vrai. En effet, la réalité des cultes étranges et des sacrifices sanglants rattrapera bien vite nos jeunes touristes. Et l'on devra digérer le choc abrupt de voir un corps humain s'éclater en bouillie de sang et d'os sur un rocher en contrebas.

Il est clair en effet, que l'apparition d'une forme de body horror a de quoi surprendre le spectateur, tant la manière dont elle est présentée sans détour vient rompre avec la douce quiétude instaurée. Esthétisée mais non moins rude, elle choque, elle dégoûte, et accroît le malaise ambiant qui commençait déjà à s'insinuer peu à peu. Esthétisée car l'apparition de cet ange macabre aux yeux de fleurs dont la chair découpée et déployée de part en part fait presque figure d'oeuvre d'art exposée dans une petite grange aux yeux stupéfiés de Christian (tout comme la découverte de la malheureuse victime d'Hannibal Lecter dans le Silence des Agneaux, phoenix sépulcral aux entrailles évidés, offre une vision épouvantable aux geôliers). Rude car ce spectacle gore ne peut que nous toucher et provoquer une forme d'emphase dans notre ressenti de cette violence, face à une tête sur laquelle on assène un coup de masse ou face à la chair décomposée d'un corps qui brûle et aux cris de douleurs. L'horreur est donc, certes, dans le travail magistral sur l'atmosphère, mais l'apparition inattendue du gore viendra soutenir cette ambiance glauque qui ne cessera de croître à mesure que le film se poursuit.

Puisque le spectateur est du côté de Dani, il est aisé pour lui de comprendre les raisons qui la pousse peu à peu à s'intégrer parmi les membres de la communauté et à retrouver en eux, une famille, un soutien. Sans repère, fragile, abandonnée et apeurée, la jeune fille provoque l'empathie. Cependant, en voulant son bien, nous l'attirons en réalité de plus en plus dans les griffes de la secte. Et là est le malaise. Car plus son compagnon Christian apparaît comme détestable, et se détache d'elle, plus les membres de la communauté l'encerclent, l'enferment et semblent ne faire qu'un avec ses propres sentiments : tandis que la relation de Christian et Dani éclate en mille morceaux, la communauté semble former un tout, fort, immuable, indissociable. Cette scène de pleurs et de hurlements à l'unisson sera comme une forme de catharsis pour la jeune fille, qui hurlera sa douleur et sa rage à pleins poumons, elle qui a toujours dû garder en elle cette souffrance. Hypnotisée et grisée par la danse, les drogues, par les couleurs mobiles de cette couronne de fleurs et surtout par cette nouvelle famille qui semble la comprendre, Dani finira par condamner elle-même son copain, son dernier obstacle vers le bonheur ou la dernière chose qui la rattachait à la dure réalité du deuil. Et dans un final où tout part en fumée (rappelant le chef d’œuvre de Robin Hardy, The Wicker Man, sorti en 1974 où le héros finira brûlé vif dans une sculpture d'homme en osier), le sourire de soulagement qui apparaît sur le visage de l'héroïne, enfin libérée, contaminera le spectateur, tout comme il lui glacera le sang lorsqu'il se rendra compte de ce pourquoi il sourit.

Midsommar est donc une réussite, Ari Aster ayant rendu un très bel hommage au sous-genre du folk horror : la mise en scène est éclatante de savoir-faire, la palette se décline sous une multitude de couleurs pastels et chatoyantes, les accords hypnotiques de la bande son nous plongent dans cette atmosphère à la fois noire et idyllique et le jeu d'acteur est époustouflant. Florence Pugh parvient avec brio à nous faire ressentir la détresse psychologique de son héroïne et Jack Reynor (Christian) nous délivre le portrait d'un compagnon égoïste et arrogant que nous adorons détester.
Ce film, enfin, propose une réflexion glaçante sur les effets de la solitude et de la fragilité face à une communauté sectaire païenne, sur tous les rouages qui vont venir appuyer un endoctrinement progressif, mais aussi sur une forme de laissez-faire agnostique face à des rituels religieux parfois barbares.

La lumière et la chaleur humaine en surface présente donc un envers beaucoup plus sombre et glaçant, la forme de rêve illustrant paradoxalement le propos de cauchemar.

minililouxxx
9
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le 26 juil. 2021

Critique lue 105 fois

minililouxxx

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