Après avoir orchestré un chaos jubilatoire en six chapitres avec « Les Nouveaux Sauvages », sur la Croisette en 2014, Damián Szifron rempile dans un registre avec plus de noirceur et avec un cynisme modéré. Ce dernier est venu nous parler de son pays d'adoption, du moins pour ce qui est du cinéma hollywoodien et donc les États-Unis, terres de diversité culturelle et d'un second amendement encore très discuté aujourd'hui. Le cinéaste argentin passe au scanner ces vies croisées dans la lunette d’un tueur de masse, dont les balles surgissent des ténèbres. Cette façade s’accroche aux thrillers des années 70-80 et c’est ce qui semble avoir été pris en considération aux côtés de son co-scénariste Jonathan Wakeham. Le programme stimule, mais qu’en est-il de l’exécution ?


Si la narration se veut assez académique, il faut néanmoins lui reconnaître une efficacité redoutable dans en matière de profilage. Cela rappelle en un temps « Le Silence des Agneaux » avec un réelle envie de réactualiser le storytelling, en incluant notamment la surconsommation et l’homosexualité. Dommage que cela ne dure pas plus longtemps. Nous sommes loin des épreuves psychologiques auxquelles David Fincher nous avait habitué (Seven, Zodiac, Gone Girl), l'intrigue se contente de lisser ses transitions, afin de nous rendre le visionnage le plus agréable possible. Nous nous serions pourtant passés de ce brossage, trop minutieux et très peu pertinent lorsqu’il s’agit de grimer l’artificialité d’une nation capitaliste.


Lammark (Ben Mendelsohn) enquête sur les tueries qui se multiplient, tandis que le meurtrier continue de vadrouiller jusque dans les contradictions de la société occidentale qui le répugnent. Ce dernier prend rapidement la jeune Eleonor (Shailene Woodley) sous son aile, afin d’établir un profil psychologique et de mettre un terme aux massacres, qui ne font que nourrir les médias télévisés et autres chroniques du quotidien qui détruisent notre sensibilité. Cette approche interpelle de plus en plus le spectateur dans sa manière de consommer ses aliments mais également ses blockbusters hollywoodiens, car ce film se veut être une réaction à ce cinéma déprimant et dont les relations humaines sont factices, au mieux conventionnelles. Le premier plan survolait Baltimore de nuit, mettant à plat toute la verticalité de la ville, qui cache ses vices derrière ses forteresses vitrées, mais c’est dans la dernière ligne droite que le discours manque sa cible. De peu, certes, mais juste assez pour heurter les infrastructures d’un pays qui a plus de question à poser que de réponses à apporter. C’est ce qui en fait sa richesse et son fléau, ce qui tache forcément les ambitions d’un cinéaste très convaincu de son projet, pourtant alléchant suivant les angles.


Ce que l'on pourrait assimiler à une chasse à l'homme viscérale ne l'est pas entièrement. « Misanthrope » piétine un peu trop sur ses bases, ainsi que sur sa morale finale, qu'il en oublie de nous parler de ses personnages, encore en quête de réussite ou rédemption, même après le mariage. Et dans le cas de notre héroïne, il va manquer cette petite subtilité qui la rendrait plus opaque, car rouvrir un dossier et le lire, c'est facile, mais nous faire croire que le tout soit cohérent n'est pas une mince à faire. Szifron nous remonte tout de même l’idée que la ville serait finalement le serial killer de la société contemporaine. Malheureusement, le procédé est trop démonstratif pour qu’on y trouve de l’empathie.

Cinememories
5
Écrit par

Créée

le 26 avr. 2023

Critique lue 1.3K fois

11 j'aime

Cinememories

Écrit par

Critique lue 1.3K fois

11

D'autres avis sur Misanthrope

Misanthrope
EricDebarnot
8

Presque un grand thriller…

Un très petit nombre de thrillers ont marqué de manière – pour le moment – indélébile, mais également universelle le cinéma contemporain : les 3 qui viennent à l’esprit de tout le monde (quels que...

le 30 avr. 2023

49 j'aime

5

Misanthrope
JorikVesperhaven
7

Nihilisme meurtrier.

Rares sont les traductions françaises des titres de films américains (ou autres) à être supérieures et plus adaptées que le titre original. Et bien après être sorti de la salle, on peut aisément...

le 27 avr. 2023

31 j'aime

3

Misanthrope
Behind_the_Mask
8

The night comes for us

Damian Szifron... Cela disait bien quelque chose au masqué. Jusqu'à ce qu'il réalise qu'effectivement, il avait bien aimé son Les Nouveaux Sauvages qui, mine de rien, date déjà de 2014. Neuf années...

le 10 mai 2023

28 j'aime

2

Du même critique

Buzz l'Éclair
Cinememories
3

Vers l’ennui et pas plus loin

Un ranger de l’espace montre le bout de ses ailes et ce n’est pourtant pas un jouet. Ce sera d’ailleurs le premier message en ouverture, comme pour éviter toute confusion chez le spectateur,...

le 19 juin 2022

22 j'aime

4

Solo - A Star Wars Story
Cinememories
6

Shot First !

Avec une production et une réalisation bousculée par la grande firme que l’on ne citera plus, le second spin-off de la saga Star Wars peut encore espérer mieux. Cela ne veut pas dire pour autant que...

le 23 mai 2018

19 j'aime

2