En 1994, quelques mois avant les Jeux Olympiques, la patineuse Nancy Kerrigan est agressée et blessée au genou. L’enquête remontera jusqu’aux proches et au staff de Tonya Harding, autre patineuse de la fédération étasunienne. Cette affaire, qui retient toute l’attention des spectateurs outre-Atlantique, mettra finalement un terme à la carrière en dents de scie d’Harding, première patineuse à réaliser un triple axel en compétition. Avec I, Tonya, Craig Gillespie a choisi de porter la carrière de cette dernière à l’écran, misant sur un biopic emprunt d’un humour souvent grinçant, dans la droite lignée des œuvres biographiques aux allures de satire qui ont vu le jour ces dernières années (du Loup de Wall Street à Outsider).


Devenue une référence populaire après l’affaire de la blessure de sa coéquipière puis souvent citée comme l’une des personnalités américaines les plus détestées, Tonya Harding porte sur ses épaules le poids d’une carrière prometteuse brisée par un entourage toxique, depuis son enfance jusqu’à son mariage. Force est de constater que la patineuse n’est jamais parvenue à s’extraire de sa condition sociale première, demeurant une jeune fille marginale et incapable de se plier aux exigences du haut-niveau sportif, le patinage étant une discipline éminemment discriminatoire en termes socio-économiques, en témoigne le cas de la Française Surya Bonaly dont le salto arrière sur la glace n’a jamais retenu l’attention des juges pour qui cette figure manquait cruellement d’élégance. Harding, quant à elle, passe son enfance entre les mains d’une mère violente qui l’oblige à rester sur la piste des heures durant. Mckenna Grace, que l’on a aperçue dans Mary, offre à la réalisation de Gillespie ses premiers sursauts tragicomiques, en incarnant la patineuse enfant, le spectateur ne sachant pas s’il doit craindre, face à la candeur de la petite fille, la figure maternelle merveilleusement bien incarnée par Allison Janney, ou bien s’il doit rire d’elle.


La structure du long-métrage permet néanmoins d’offrir le recul nécessaire pour que l’humour parvienne à se frayer un chemin dans le récit ; la linéarité de la carrière d’Harding est ainsi brisée par des scènes d’interviews, souvent contradictoires, de la patineuse et de ses proches. Gillespie affirme par un encart préliminaire qu’il ne souhaite pas mettre en scène la vérité de l’affaire, ce qui se traduit finalement par un glissement vers le registre comique, parfois ponctué de scènes absurdes, mais pourtant toujours proche du réel surréaliste qu’est « l’affaire Harding » ; on retiendra en ce sens la performance de Paul Walter Hauser dans le rôle de l’étonnant et assez détestable ‘garde du corps’ d’Harding. La légèreté avec laquelle est traitée la question des violences conjugales demeure toutefois regrettable, surtout lorsque la réalisation cherche à susciter avec autant d’entrain de l’empathie pour Harding.


Si Gillespie se montre peut-être parfois trop complaisant vis-à-vis de la championne, on ne peut que saluer l’exceptionnelle performance de Margot Robbie qui offre un portrait nuancé entre la folie sous-jacente du personnage et les coups démesurés qu’elle prend tout au long de sa vie, que ce soit ceux d’une mère abusive ou d’un petit ami toxique, incarné par l’excellent Sebastian Stan, que l’on prend plaisir à découvrir dans un nouveau registre à la veille de son retour dans le costume du Soldat d’Hiver. La nature des différents protagonistes oriente la réalisation vers un rythme nerveux, marqué par les innombrables coups de sang du clan Harding. L’ensemble n’en est pas pour autant dépourvu de tout sens esthétique, Gillespie filmant avec virtuosité et nervosité les enchaînements artistiques de Tonya. Colorée et musclée, la mise en scène du réalisateur australien brosse ainsi un très beau portrait et de la patineuse, et de sa discipline sportive.


Finalement très loin de vouloir restituer une quelconque vérité, Craig Gillespie retrace la tragique carrière de Tonya Harding de manière décomplexée et férocement caustique. Du succès à la descente aux Enfers de la patineuse, I, Tonya met en scène une des histoires les plus rocambolesques de la mythologie contemporaine étasunienne, mettant en jeu à la fois des questions sociales, notamment dans le milieu du patinage artistique, et intimes, à savoir l’implication toxique des proches de la championne dans sa carrière et sa déroute, le tout sous le feu de caméras toujours plus avides de drames et autres scandales.


Critique à lire ici.

vincentbornert
6
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 18 févr. 2018

Critique lue 453 fois

vincentbornert

Écrit par

Critique lue 453 fois

D'autres avis sur Moi, Tonya

Moi, Tonya
Glaminette
8

Triple Axel et Mandales dans la Gueule

"Moi, Tonya" est pour moi un film coup de poing : au sens propre, comme au figuré. Brut dans sa réalisation : avec des acteurs qui s'adressent directement à la caméra , et donc à toi, spectateur...

le 16 avr. 2018

28 j'aime

15

Moi, Tonya
LeMalin
7

Tonya is America

Le patinage artistique est un sport d’avantage regardé par les femmes que les hommes, c’est statistique. Et comme je ne voudrais pas fausser les chiffres, autant vous dire que la perspective de...

le 13 févr. 2018

23 j'aime

Moi, Tonya
Val_Cancun
7

Les pantins du patin

Très bon biopic consacré à la patineuse américaine Tonya Harding, mais on passe (de peu) à côté d'un petit chef d'œuvre, car le film aurait pu être encore meilleur. Le réalisateur australien Craig...

le 5 oct. 2021

21 j'aime

5

Du même critique

La Promesse de l'aube
vincentbornert
6

J'ai vécu.

Adaptation de l’un des plus grands romans de la littérature française de la seconde moitié du siècle dernier, La promesse de l’aube d’Eric Barbier est un beau défi pour ce qui est de rendre hommage à...

le 20 déc. 2017

26 j'aime

Detroit
vincentbornert
6

Des droits

Alors que les deux derniers longs-métrages de Kathryn Bigelow interrogeaient l’interventionnisme étasunien au Moyen-Orient, la réalisatrice choisit, avec Detroit, de recentrer sa caméra sur le sol...

le 8 oct. 2017

15 j'aime

3

Gauguin – Voyage de Tahiti
vincentbornert
4

Koké vide

Alors que l’on voit, depuis quelques années déjà, fleurir les portraits de grands représentants de la culture européenne (de Cézanne à Rodin, de Turner à Karl Marx), Edouard Deluc se plie, lui aussi,...

le 21 sept. 2017

11 j'aime