Ils ont l’air d’adolescents comme les autres qui jouent au foot, mais quelques détails viennent dire autre chose, semer un trouble. Ils ont les yeux bandés et semblent livrés à eux-mêmes, isolés au sommet d’un plateau montagneux entouré d’un océan de nuages. Très vite, la vérité s’impose : ce sont des enfants soldats colombiens chargés de surveiller une otage américaine. Ce n’est pas la vision d’un cadre presque idyllique, d’un "paysage de vacances" : c’est simplement un cauchemar. Un cauchemar fait de pierre et de vent, d’herbe et de boue, de bunker abandonné et d’âmes auxquelles on a volé l’innocence. L’insouciance d’un âge qui ne résume plus qu’à des ordres vociférés, une cruauté patente et des mitraillettes qui dégueulent la mort.


Pour son troisième long métrage, Alejandro Landes s’est inspiré du conflit armé colombien (on pense évidemment aux FARC) tout en distordant cette réalité pour livrer une œuvre fascinante, jamais loin de l’expérimental (que vient renforcer la partition déroutante de Mica Levi). Landes orchestre une sorte de trip halluciné (l’ombre de Philippe Grandrieux n’est d’ailleurs jamais loin, jusqu’à ses scènes filmées en infrarouge comme dans La vie nouvelle) qui, en milieu de parcours, opère un brusque changement topographique venant tout dérégler. On passe alors du minéral (les montagnes) au végétal (la jungle), d’une prison à ciel ouvert à un enfer vert sans fin, d’une unité de groupe, presque une famille, à des réactions plus individuelles, des envies d’indépendance dont il faudra payer le prix.


Avec toujours, en point central, cette doctora qui cherche à s’enfuir, quitte à remettre en question ses limites morales pour une hypothétique liberté. Singulier, Monos paraît surgir de nulle part, neuf, sans références, même s’il s’inscrit in fine dans la continuité d’une certaine mouvance latino-américaine flirtant avec l’étrange et le cinéma d’auteur pur et dur (on citera par exemple Alejandro Fadel, Amat Escalante, Michel Franco, Lucrecia Martel, et bien sûr Carlos Reygadas). Landes observe, entre poésie sensorielle et violence concrète, une sorte de retour au primitif dans ses envies de chaos et de règne, de rage et de passion sauvage. Dans sa propre nature. Celle confrontée à l’inclémence d’un monde et qui se serait nichée là, au cœur des ténèbres évidemment.


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le 1 juin 2020

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