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Poursuivant la rupture engagée depuis que Daniel Craig a revêtu le costume, Mourir peut attendre est le dernier épisode d'une pentalogie, et le terme est choisie ici, puisqu'il définit à l'origine une suite de cinq drames réunis autour du même motif.


Le motif ici c'est certes Daniel Craig mais c'est aussi tout un univers de méchants et d'organisations tentaculaires qui n'en finissent pas de mourir, et des personnages entourant le héros de la franchise, des James Bond Girls (où la France est bien représentée) et les habituels Q,M et Money Penny. Mais ce cinquième volet ramasse aussi les personnages secondaires et les intrigues passées pour les conclure par une énorme pétarade (pouvait-il en être autrement pour un James Bond ?) aux relents dramatiques. Car dans cette série de cinq épisodes, il y a véritablement une dramaturgie qui s'est installée, les personnages ayant pris de l'épaisseur à chaque épisode, pour aboutir à celui-ci.


Le film continue aussi de déconstruire les James Bond passés, jouant avec les codes, tant la présentation de Bond, qu'en détruisant une des voitures emblématiques de la saga dès les premières minutes, ou qu'en introduisant une seconde 007 le temps de l'épisode (mais qui rend son matricule à Bond le moment venu), histoire de faire jaser les mauvaises langues. C'est aussi le personnage de James qui est singulièrement différent : ultra violent et alcoolique, mais aussi à fleur de peau, fragile, et sentimental. Mais on demeure toujours dans le style classique des James Bond : jolies filles, jolies voitures, jolies montres, méchants torturés aux visées mystérieuses, des Russes, des Cubains, des courses poursuites, bref, les immanquables, sans oublier le générique (avec une bonne chanson de Billie Eilish) et la musique (parfois pénible, parfois juste (notamment à la fin) de Hans Zimmer avec les reprises du style de John Barry dans Au service de sa Majesté, dont s'inspire un peu le scénario du film) ou des moments dans la pure veine de The Dark Knight, Bond étant lui aussi un héros vengeur.


Même si la faiblesse de Bond a toujours été les femmes, il faut le dire toujours fatales, jamais ça n'a été autant le cas, à part peut-être dans Casino Royale justement, premier volet avec Daniel Craig où il perdait tragiquement la sublime Vesper Lynd (Eva Green, indétronable). Le film d'ailleurs commence par Bond allant se recueillir sur sa tombe, comme pour enterrer le passé, qui décidément peut attendre de mourir. Car dans ce film Bond ne cessera de marcher à reculons, s'enfonçant toujours plus dans une fatalité inexorable. Il est amoureux de Madeleine Swann (Léa Seydoux, franchement assez convaincante) qui nous offre un personnage complexe - le plus intéressant du film - et central dans l'intrigue, puisque lié depuis Casino Royal à la destinée de Bond.


Le film parachève donc la transformation de la saga, passant du film d'espionnage patriotique avec un espion charmeur mais froid, au film ambivalent où les méchants et les gentils sont difficiles à cerner et où l'espion est un être brutal, efficace mais fragile. Ce mélange, radical, assumé, à son paroxysme ici, est décontenançant et aboutit à un film quelque peu bancal, empli de scènes excellents et de moments très passables - en évitant le mélodrame cependant.


Il commence pourtant par une double scène d'introduction absolument glaçante, montrant Madeline Swann, James Bond girl de l'épisode précédent, enfant, échappant aux griffes d'un tueur masqué puis nous emmenant à Matera (quelle belle ville !) pour voir les deux tourtereaux vivre de beaux jours, rapidement gâchés par une bombe cachée dans le tombeau de Vesper et une course poursuite colossale où le réalisateur s'amuse à abimer l'Aston Martin culte de la saga. Bond, en colère, dégoupille, se débarrasse de Madeleine qu'il accuse de l'avoir trahi.


Par la suite le film, avançant de cinq années, se perd un peu dans ses intrigues et sous-intrigues, liant toutes les histoires passées des cinq films, faisant qu'on perd un peu pied et que le film traverse un long ventre mou, jusqu'à ce que Madeleine réapparaisse dans la vie de Bond, et relance toute l'intrigue, au bout d'une heure de film ! Entre temps, on retiendra une belle scène d'action à Cuba avec une trop courte apparition de la pétillante Anas de Armas qu'il ne faut pas croiser sur son chemin, tant elle a la gâchette facile.


Avec le retour de Madeleine, on croise le grand méchant du film (Rami Malek) qui cherche à se venger de tout le monde et qui n'est en fait que l'homme masqué qui voulait la tuer il y a de cela des années et qui finalement l'avait épargné, son père ayant décimé toute sa famille. Les motivations du grand méchant sont peu claires et il manque clairement d'envergure pour le plus gros vilain des cinq films, mais sa personnalité est plus intéressante puisqu'il épargne les enfants, lui qui a été épargné, qui a épargné Madeleine et qui épargnera sa fille.


On comprend le rôle central que Madeleine tient dans l'intrigue et ce depuis cinq films. On comprend aussi qu'elle a eu un enfant de Bond (on pouvait le deviner au début de film alors qu'elle se tenait le ventre) et que ce nouvel élément dramatique, bien que radical, en rupture totale avec James Bond qui a toujours été sans famille (Skyfall nous avait déjà présenté ses origines familiales cependant), renforce terriblement les enjeux, Bond ayant un but, survivre, "Mourir peut attendre". Une très bonne séquence en Scandinavie, sur le lieu où Madeleine avait été poursuivie par le tueur masqué, met cet enjeu en scène, la petite fille accrochée aux bras de ses parents pour échapper à des tueurs. La séquence, brutale, avec une Madeleine sans merci qui tue chaque ennemi l'approchant, rappelle l'excellente de Skyfall en Ecosse et la prolonge, avec des enjeux similaires, car familiaux.


Seulement ces enjeux ne sont pas tenables pour la suite de la saga, avec la naissance de la seule vraie James Bond Girl (prendra-t-elle un jour le flambeau ?), c'est la mort assurée pour le héros qui se sacrifie, au bout du bout, dans une pétarade énorme, sur un morceau d'île russo-japonais, dans un ancien site de sous-marin nucléaire, dans une base secrète et laboratoire démoniaque tenu par un scientifique russe cinglé que la seconde 007 d'origine africaine (Lashana Lynch) se fera un plaisir de tuer pour ses propos sexistes et racistes.


Toute l'intrigue d'espionnage, de poison génétique, de méchants cherchant à se venger est assez secondaire et on peine à la comprendre, entre l'enchevêtrement de "Spectre" et autre organisations rivales et même les fautes du gouvernement britannique qui a fabriqué des armes (dans un laboratoire médical secret, en plein Covid comme par hasard), arme qu'on lui dérobe. Tout tient finalement dans la relation Bond/Madeleine, montrant que l'espion moderne ne se bat plus pour son pays ou la patrie, ni même pour sauver le monde, mais pour sauver ceux qu'ils aiment (ce que James Bond fait en arrachant Madeleine et sa fille des vils terroristes). C'est même un père de famille, ultime transformation du héros sans peur et sans reproche. Il a encore un peu de flegme et un peu d'humour, beaucoup d'alcoolisme, mais il est surtout devenu plus sentimental. Il veut vivre. Il a vieilli. Il est comme tout le monde, les femmes lui tiennent la draguée haute, il est usé. Le comble. Il ne lui reste qu'un ultime combat à mener avant de passer le flambeau, lui qui s'était de raccrocher, mais qui n'y arrivera jamais. C'est la motivation de son retour auprès de M, Q et les autres (qui apportent une touche de légèreté bienvenue, notamment dans une scène chez Q). Pour en finir. Pour l'ultime baroud d'honneur. On regrettera que Bond se précipite dans ce final car ce n'est pas tant de son fait que des autres personnages, qui font avancer l'intrigue pour lui, comme Madeleine, qui le mènent à sa destinée. S'ensuit une énorme séquence dans la base où James Bond ne laisse pas un seul ennemi respirer. Mais blessé très grièvement et condamné par un poison, il ne pourra s'échapper. Mourir peut attendre la toute fin du film.


Le film est donc un ultime baroud d'honneur, reprenant à son compte de la musique aux paysages et aux intrigues les origines de la saga, mais en ayant fondamentalement transformé les personnages et la portée dramaturgique de l'oeuvre. Ainsi Bond meurt sur une île russe, Russie, terre de toutes les intrigues d'espionnage, terre des origines de la saga née de la Guerre Froide, en déclarant sa flamme, sous des torrents de missiles. Bons Baisers de Russie.

Tom_Ab
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le 24 oct. 2021

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Tom_Ab

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