C’est une supplique. Oui, une supplique, et une longue. Un cri du cœur. La supplique d’un fan, depuis l’enfance, de 007 (tu t’en rappelles ? Bien sûr que tu t’en rappelles de ton tout premier James Bond…) qui, pendant la projection de Mourir peut attendre, a regardé sombrer le vaisseau amiral lentement mais sûrement, et jusqu’à ce final tire-larmes plus proche du ridicule que de la corde sensible. Final qui aura eu raison de son indéfectible, pensait-il, bonne volonté. Une supplique parce que t’aurais voulu, toi le fan, que ça ne se passe pas comme ce que tu découvrais, livide, à l’écran et qui, la plupart du temps, te désolait, ça te liquéfiait sur ton siège. Oh, tu sauveras malgré tout quelques scènes ici et là qui t’ont emballé et sans que tu saches vraiment comment, y retrouvant une espèce d’adrénaline toute bondienne qui sait encore te faire vibrer, mais globalement ce fut la débandade.


Parce que, et c’est là un exemple parmi tant d’autres mais finalement assez révélateur des enjeux romantico-neuneus de Mourir peut attendre, voir Bond castagner et flinguer du bad guy avec un doudou à la bretelle relève d’un pur affront fait aux bondophiles. Du coup, les pitreries spatiales (ou en gondole sur la place Saint-Marc) de Bond dans Moonraker ou l’improbable scène de surf dans Meurs un autre jour te semblent désormais moins grotesques, enfin presque moins grotesques, qu’elles en avaient l’air. Une supplique parce que t’aurais voulu qu’on évite les emprunts factices à Au service secret de Sa Majesté, emprunts voulus comme un… "hommage", ou comme une pseudo caution sentimentale grossièrement plaquée au récit fantôme de ce nouvel opus.


Mais Léa Seydoux n’a pas une once du charme et de l’élégance de Diana Rigg, l’alchimie entre elle et Daniel Craig, qu’ils soient au lit, en danger de mort, en train de se dire adieu sur le quai d’une gare ou se retrouvant après des années d’absence, est absolument inexistante (il faut arriver à s’imaginer, quand on les voit tous les deux ensemble, la rencontre entre une amibe et un manche à balai), et la fin d’Au service secret de Sa Majesté est mille et une fois plus touchante et réussie, par sa brusquerie et sa cruauté, que ce final lourd et gnangnan qu’on nous impose ici et qui nous fera verser des larmes de désespoir à défaut d’émotion.


Parce que t’aurais voulu que l’on voit davantage Rami Malek dans le rôle du méchant de service, et plutôt que de perdre du temps à nous resservir un Christoph Waltz en Blofeld de pacotille susurrant des "Coucou !" pathétiques avec une voix de castrat. Malek qui, avec le peu de minutes qu’on a bien voulu lui accorder mais avec tout son talent, laisse entrevoir ce qu’aurait pu être son étrange et intrigant personnage d’animal à sang froid reclus dans sa base secrète, quelque part entre Docteur No et Karl Stromberg, si celui-ci avait été mieux développé (belle idée du jardin zen empoisonné, poétique et macabre à la fois, mais qui passera vite à la trappe) ni affublé d’un prénom affligeant (Lyutsifer) qui semble à lui seul résumer toute la "subtilité" de la chose.


Parce que t’aurais voulu que l’intrigue laborieuse qui, entre deux clins d’œil paresseux à la fan base, fait du passé de Madeleine Swann le terreau peu convaincant (et passionnant) de ce 25e épisode en y greffant comme elle peut une vague menace virologique, évite de trop se prendre au sérieux, de crisper la mâchoire en quasi permanence en misant sur une espèce de fatalité du destin à laquelle on ne croit guère tant elle accumule, en réalité, les choix scénaristiques mastoc


(Leiter et Blofeld qui trépassent, une fille dans le placard, Bond en figure martyr et habité par une soudaine fibre paternelle…)


qui n’ont d’autres fonctions que celle de "marquer le coup" because c’est l’heure du grand départ pour Craig.


D’ailleurs depuis Skyfall, la saga a clairement pris un air solennel et lisse (un détail qui en dit long ici : le sang ne coule plus lors du gun barrel) s’éloignant du cool (et même de la fantaisie) d’avant (parce qu’on aime 007 aussi pour ça, pour ce côté parfois détaché et rocambolesque) ou de la rudesse de Casino Royale, héritée de Bons baisers de Russie et de Permis de tuer, qui inaugura le style Craig il y a déjà quinze ans en sachant relancer la saga après les années peu glorieuses que furent l’époque Pierce Brosnan. Un air "nolanisé" en quelque sorte (ce qui t’amène à dire que Nolan est sans doute l’une des pires choses qui soit arrivée au cinéma depuis ces quinze dernières années), cet air qui vous transforme n’importe quel scénario en un machin plombé d’un cérémonieux patapouf cherchant à se donner de grands airs. D’ailleurs les producteurs, peu hardis, s’en sont bêtement allés recruter Hans Zimmer, compositeur en chef des films de Nolan (CQFD), qui livre ici une partition totalement transparente ne faisant, souvent, que copier/coller celle d’Au service secret de Sa Majesté.


T’aurais voulu aussi que les personnages d’Ana de Armas et de Lashana Lynch ne te donnent pas la sale impression de simplement servir d’alibi inclusif ou de quota woke parce que traités comme tels, et non comme des personnages à part entière fouillés et intéressants qui de toute façon, comme pratiquement tous les autres personnages du film (de M à Leiter en passant par Madeleine, Logan Ash ou Primo), sont écrits avec un minimum de consistance. Donc inclusifs ou pas, la question ne se pose même pas : la plupart des protagonistes de Mourir peut attendre sont des ectoplasmes. Il n’y a bien que Bond, passé de serial tombeur tendance misogyne et alcoolique à une sorte de boomer fatigué (le mythe s’adapte), qui échappe de justesse à la purge.


T’aurais voulu, enfin, une autre fin.


T’aurais voulu qu’on évite ce moment gênant où même la mort de Bond arrive à te laisser de marbre. Ou non, passablement irrité, vécue comme une trahison, un renoncement, une abnégation même de ce qui fait l’essence de Bond, oblitérant l’idée, la volonté d’une transmission, d’un au revoir qui serait d’abord une humble révérence, un merci. "You know my name", chantait Chris Cornell lors du générique de Casino Royale. Vu la conclusion inepte de Mourir peut attendre, on ne voit pas comment ce "nom" résonnera de nouveau. Ou alors en considérant que l’arc narratif de l’ère Craig n’aura été qu’une parenthèse, et qu’il faudra donc remettre les compteurs à zéro la prochaine fois (mais comme à chaque changement d’interprète finalement) pour pouvoir réintroduire le nom de Bond, et surtout le personnage puisqu’il a été, ici, réduit en miettes par une flopée de missiles.


Surtout, plutôt que d’opter pour cette alternative scénaristique bidon (las de cette vie pleine de violence et de mort qui ne l’aura pas épargné, Bond décide de se laisser mourir dans une attitude piteusement sacrificielle) censée nous émouvoir et nous laisser coi, celle d’une "malédiction" le séparant des êtres aimés était plus ambitieuse et follement lyrique, vouant ainsi le célèbre espion à une existence plus que jamais solitaire. Ainsi, à la place d’un Bond éparpillé façon puzzle, Bond terminait en héros de tragédie grecque : Fleming qui tutoie Sophocle, ça avait quand même plus de gueule pour un pot de départ.


Car au-delà de ce que Craig a su apporter dans l’incarnation de Bond (un mélange parfait d’animosité à la Sean Connery et de profondeur à la Timothy Dalton), et au-delà des réussites qu’ont été Casino Royale et Skyfall, si Mourir peut attendre est bien un adieu, c’est, malheureusement, un adieu sans grâce et sans honneur. Un adieu la mort dans l’âme.


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mymp
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le 10 oct. 2021

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