Le syndrome Pocahontas, ou les problèmes que posent My Fair Lady


Problème #1 : Moralement et politiquement infâme



Je ne suis généralement le dernier à dire ça mais politiquement, ça a quand même vachement mal vieilli. On passe sur la condescendance, la suffisance, le mépris de classe qui n’est jamais remis en question. Le pauvre est sale, inculte, fainéant (« avec un peu de chance, c’est un autre qui fera le travail »), ivrogne, voleur, violent. Le riche est éduqué, parle la langue de Shakespeare parfaitement. Il s’agit d’éduquer le sauvage, comme Rolfe éduquait Pocahontas pour la présenter au Roi.


C’est aussi le racisme et surtout le sexisme qui saute aux yeux aujourd’hui. Ce n’est pas le fait d’en parler qui pose problème, je ne fais jamais ce genre de reproches, je n’ai aucun problème avec les Tarantino par exemple. Mais il y a une différence entre représenter les travers d'une époque et épouser complètement cette vision. Ici, à aucun moment, il n'y a un regard extérieur, une quelconque remise en question, un quelconque sarcasme sur les pratiques, les coutumes, les personnages.



Problème #2 : Le cas Audrey Hepburn



Au-delà de ça, l’accent et le personnage d’Audrey sont juste insupportables. C’est conscient et volontaire ("l’être qui émet ce sons horribles"), mais en attendant faut se les farcir. Surtout que Cukor a eu la désagréable décision d’imposer à Hepburn de se faire doubler pour les chansons (elle a failli quitter le plateau suite à cette décision inopportune). Et sa doublure a une voix encore plus horripilante. C’est dommage, parce que sur les quelques passages que Hepburn ait pu chanter, c’est bien plus juste.


Ça change en rien l’amour infini que je porte à Audrey, elle se démène comme une diablesse la pauvre. Le rôle est ingrat comme pas possible et elle est y va avec conviction. Rex Harrison est évidemment excellent, connaissant le rôle par coeur. Le film a remporté tous les oscars d’acteurs d’ailleurs, sauf le plus évident, celui de meilleur actrice dans un rôle principal, pour lequel Audrey ne fut même pas nominé. Un lobbying de Disney sûrement, fâché que Cukor n’ait pas embauché Julia Andrews pour le rôle, laquelle recevra l’oscar pour Mary Poppins. Des bons empotés déjà à l’époque.



Problème #3 : L'absence de transition du théâtre au cinéma



C’est souvent ce qui fait pour moi la différence entre une bonne et une mauvaise adaptation de pièce de théâtre. Les mauvaises adaptations continuent de respecter les codes du théâtre, sans faire la transition. Le changement de médium n’a donc non seulement pas d’intérêt, mais aussi diminue le matériau principal. Parmi ces codes, on retrouve :



  • très peu d’éléments extradiégétiques

  • les mêmes décors en carton-pâte utilisés jusqu’à la corde

  • très peu de mouvements de caméra (pivotal au maximum, comme si le
    public tournait la tête latéralement)

  • des mouvements et déplacement très chorégraphiés

  • des acteurs qui déclament leur texte avec beaucoup d’emphase



Alors pourquoi faut-il le voir ?



My Fair Lady est tout de même un film culte comme par deux, il reste très important de le voir tant il fut influent. Les chansons sont très bien écrites, pleines de bons mots, souvent drôles. Le film n’a pas remporté huit oscars pour rien, la cinématographie est brillante, certains tableaux sont resplendissants et marquent les esprits. Je pense particulièrement à The Ascot Gavotte, une sortie de Barry Lyndon musical, qui m’a fasciné (https://www.youtube.com/watch?v=uNgsAcSJdAg ) . Après la transformation d’Audrey, le film devient délicieux dans sa seconde partie, charmant, raffiné. Les chansons et les prestations d’acteurs restent ancrées dans nos mémoires. Cependant, il reste difficile de ne pas poser un regard actuel et de fermer les yeux sur les problèmes que posent ce film.

Peaky
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le 3 sept. 2019

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