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De l’implacable thriller de Clint Eastwood, vu il y a près de vingt ans alors que j’étais un ado boutonneux, il ne me restait qu’un sentiment de noirceur opaque, et le souvenir du destin final d’un des personnages. En le revoyant aujourd’hui, plus proche de la quarantaine que de la vingtaine, j’y perçois également un voile sombre, mais plus diaphane, à travers lequel pointe une lumière profondément humaniste, provenant à la fois des personnages et de Clint Eastwood.


Car si les thèmes abordés pourraient désespérer le plus gai des lurons (on parle après tout d’enlèvement, d’abus sur mineurs et de meurtres gratuits) il n’en reste pas moins que la trajectoire des trois anciens amis a quelque chose de touchant, d’intime. La prise en empathie du trio est immédiate, malgré les méfaits de l’un d’entre eux. Car c’est le parcours de trois adolescents brisés par ce que l’humanité engendre de pire, les dérobant de toute innocence, de toute jeunesse. Jimmy (Sean Penn) refuse ce système en sombrant dans le banditisme, Sean (Kevin Bacon) tente de réparer le système en devenant flic, tandis que Dave (Tim Robbins) tente de s'adapter à ce système qui lui a failli. Trois façons distinctes de gérer ce traumatisme, mais qui se retrouvent toutes dans le besoin de créer une cellule familiale, de s’entourer de l’amour de proches.


Le point de bascule se fait d’ailleurs par l’éclatement de l’équilibre précaire que chacun avait trouvé lorsque la fille de Jimmy se fait tuer. Les cartes sont rebattues, et à chacun de comprendre comment son mécanisme de défense n’a pas suffit. Jimmy est persuadé d’avoir contribué à la mort de sa progéniture sans savoir comment, Dave rompt la communication avec sa femme, se renfermant sur lui-même, tandis que Sean, le plus stable du groupe, aura besoin de son partenaire (Laurence Fishburne, qui lui tient lieu de famille) pour le faire tenir. La tragédie peut alors librement se dérouler, les repères si fragilement reconstruits s’effondrant. Il faut tenter de comprendre pour bâtir à nouveau, dans le deuil et la paranoïa.

La reconstruction la plus terrible étant celle de Jimmy, que sa femme (Laura Linney), âme soeur s’il en est, excuse en tous points, expiant tous ses pêchés sur l’autel de la sauvegarde familiale. Une relation parfaite pour ce couple, qui se fait au détriment de toute morale et de toute bienséance, le mal de l’un entraînant celui de l’autre.


Eastwood avoue de lui-même dans les bonus du bluray qu’il n’avait pas grand chose à faire pour que l’oeuvre se tienne: le roman et le script sont solides, le casting est hors-pair, et son expérience de plus d’une cinquantaine de films en tant qu’acteurs et d’une vingtaine en tant que réalisateur lui apportent une quiétude et une relaxation qui lui permettent d’approcher le tournage en parfaite maîtrise. Et le spectateur le ressent tant tout tourne tout seul, avec une indéniable maestria. Les rouages sont tous parfaitement imbriqués, livrant un classique instantané qui peut laisser son récit et ses personnages parler pour lui, et délivrer toute la catharsis qui lui est innée. Une réussite naturelle.


Bonus:


Beneath the Surface (22 minutes) + Bravo TV Special : From Page to Screen (12 minutes) :

Documents faisant office de making-of, avec les interviews des équipes du film et de l’auteur du roman, Dennis Lehane. On y revient sur la genèse du projet, l’ambiance sur le plateau, la collaboration entre tous ces acteurs de premier plan… Intéressant.


Trois interviews par Charlie Rose : Clint Eastwood (40 minutes), Tim Robbins (50 minutes) et Kevin Bacon (20 minutes) :

Sans doute les pièces maîtresses de ces suppléments, sans fioriture. Les artistes reviennent sur leur carrière respective, de leurs débuts à Mystic River. Tous s’accordent à dire que c’était un des tournages les plus simples auxquels ils aient participé, tant Eastwood, fort de son expérience, instaurait un climat paisible et propice à l’échange. Des masterclass en quelques sortes.


Créée

le 11 mars 2024

Critique lue 12 fois

Frakkazak

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