Un Napoléon rapetissé, mais magistralement

Je suis un fan de Ridley Scott. J'ai toujours aimé ses films. Et il a, au fil des décennies, acquis un immense savoir-faire. Mais comme il est Anglais, son talent ne pouvait que s'exercer au détriment de Napoléon. Son film, c'est évident, rapetisse le personnage. Il nous le présente moins comme un génial stratège que comme un ambitieux arriviste profitant de la Révolution française pour prendre en France les commandes du pouvoir et assouvir sa volonté de puissance, mettant ainsi l'Europe à feu et à sang pendant quinze ans, avec, à la clé, quelque trois millions de soldats tués (un compte des morts provoqués par ses campagnes militaires est donné à la fin du film). Tout ça pour être finalement battu à Waterloo et mourir à Sainte-Hélène, un îlot à mille miles des côtes africaines.

Ridley Scott étant, comme dit plus haut, un immense réalisateur, son film, malgré ce qu'on va appeler son biais anglais, est hyper bien foutu. Il fait tenir l'épopée napoléonienne (1793-1815, soit plus de deux décennies) en deux heures et demie... et malgré toutes sortes d'ellipses et de simplifications, le métrage se tient bien, est relativement équilibré.

Hormis la campagne d'Egypte réduite à quasiment rien (on se demande vraiment, dans le film, ce que Napoléon est allé foutre là-bas) et le Coup d'État du 18 Brumaire (9 novembre 1799 : fin de la Révolution française, début du Consulat) où on a du mal à s'y retrouver, le reste est plutôt brillamment développé... ou éludé. Les grands moments de sa trajectoire sont mis en scène : Toulon, Austerlitz, la prise de Moscou par la Grande Armée bientôt piégée par l'incendie de la ville et l'hiver russe, la première abdication de l'Empereur, le retour de l'île d'Elbe, enfin Waterloo. Il n'y a pas un Français qui ignore comment se termine l'épopée napoléonienne, donc en regardant le film, on pense inévitablement : "Tout ça pour ça". On en est attristés, presque honteux que nos ancêtres aient été mêlés à cet effroyable gâchis. Il n'empêche que Scott fait revivre magnifiquement les deux grandes batailles du Premier Empire : la brillante victoire d'Austerlitz et la morne défaite de Waterloo. Austerlitz, en particulier, est fantastiquement mis en scène, génialement photographié.

Le surprenant contrepoint de cette geste guerrière est la romance entre Napoléon et Joséphine. Là encore, on ne peut pas dire que les amours de Napoléon, telles qu'elles sont montrées dans le film de Ridley Scott, le grandissent beaucoup. Et on peut douter du bien-fondé historique de cet aspect du film.

Napoléon est interprété par Joaquin Phoenix qui en fait un être froid, plutôt soudard, énigmatique et doté des mystérieuses qualités du chef à qui on obéit aveuglément. Vanessa Kirby surprend en une Joséphine de Beauharnais très romancée mais qu'elle parvient à rendre crédible. Les autres personnages existent peu ou pas ; ce ne sont quasiment que des figurants sur lesquels on a à peine le temps de mettre un nom historique. Identifier les acteurs qui les incarnent est, pour le moins, difficile.

J'allais oublier : c'est un film "hollywoodien", donc tout le monde y parle anglais (avec sous-titres en français). Le film va évidemment être commercialisé à l'international, et donc la préférence a été donné à l'anglais. Même si ça fait un peu bizarre, on est maintenant habitué à ce genre de paradoxe.

Je conclus. C'est un film partial qui rapetisse Napoléon, mais c'est quand même un bon film, magnifiquement mis en scène et assez habilement monté (équilibré malgré les ellipses). On attendra la Director's cut de quatre heures et demie pour en avoir une vue vraiment complète et le juger plus équitablement.