Napoléon
5.1
Napoléon

Film de Ridley Scott (2023)

L’ouverture du long métrage résume à elle seule l’ambition de Ridley Scott et de son scénariste : tout à la fois présenter la femme comme la tête principale d’un récit pourtant baptisé d’un nom d’homme, et la représenter au sein d’une mascarade bouffonne où la reine, interprétée par un acteur masculin, voit sa tête voler sur l’espace scénique. Napoléon est un theatrum mundi au centre duquel se débat un être aux prises avec l’image de sa grandeur, image publique que détruit d’un regard la sulfureuse Joséphine. La Révolution française se chante et cultive les clichés, l’empereur apparaît tel un fantoche grotesque qui grogne et rampe sous la table pour mieux s’accoupler par saccades, incapable de satisfaire le désir de celle qu’il aime passionnément.

Le montage, parfois calamiteux en raison des nombreuses coupes – une version longue nous est promise, nous l’attendons ! –, alterne justement les séquences de batailles avec celles de dialogues et de culbutes dans les alcôves, démontrant ainsi l’imbrication de l’empire et de l’intime, de la gloire et de l’impuissance. L’interprétation atone et distante de Joaquin Phoenix surprend et rappelle celle proposée par Johnny Depp dans Jeanne du Barry (Maïwenn, 2023) : Napoléon semble étranger à lui-même, à la fois acteur et spectateur mi amusé mi blasé du spectacle dans lequel il s’engage et dont il espère tirer une transcendance. Les partis pris esthétiques partagent cette vision, alternant les plans plongés dans la pénombre ou saisissant le vide des décors et les ralentis épiques sur les déplacements des personnages ; il n’est pas anodin que la bataille d’Austerlitz donne lieu à des prouesses de réalisation, comme plus tôt la prise de Toulon, dans la mesure où elles restituent à la fois la ferveur d’une nation et le triomphe d’un homme qui se rêve dieu de substitution après la chute du précédent, due à la Révolution. Au contraire, Waterloo est filmé telle une exécution brutale, sans esthétisation similaire.

Avec Napoléon, Ridley Scott rend hommage à son équipe technique, qu’il présente d’ailleurs lors d’un générique d’ouverture, et se raccorde à ses débuts ; il offre à The Duellists (1977) son complément gigantesque, en veillant à transmettre son héritage cinématographique par le biais de clins d’œil – pensons au débarquement sur la plage, empruntée à 1492: Conquest of Paradise (1992) – et d’un double public d’enfants d’abord soucieux de recevoir les enseignements d’un grand homme, puis tournant en dérision ces mêmes enseignements par le biais de la moquerie et d’un jeu de rôles. Une œuvre immense, malheureusement tronquée en raison de sa durée jugée trop longue.

Fêtons_le_cinéma
9

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Créée

le 19 déc. 2023

Modifiée

le 1 déc. 2023

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