Morne plaine

Depuis toujours, Ridley Scott est fasciné par l'époque Napoléonienne.

Son premier et formidable film de 1977 , les duellistes, était une fresque magnifiquement mise en scène et photographiée qui traversait déjà les guerres Napoléoniennes. ( et que je vous invite à découvrir d'urgence )

45 ans plus tard , fort d'une des plus belles filmographie du cinéma contemporain et doté de moyens financiers plus que conséquents, sa vision de l'épopée Napoléonienne était assurément la plus grosse attente cinématographique de cette année 2023.

Un projet d'une telle ampleur historique et d'une telle densité était forcément éminemment "casse gueule" et allait être inévitablement la cible de multiples critiques et commentaires, d'autant que Ridley Scott est Britannique , ce qui n'est pas un prisme neutre quand il s'agit de dresser un portrait du premier Empereur francais .....

Le premier constat que l'on peut tirer du film , c'est que Scott a choisit l'option de nous offrir un film de cinéma et pas un documentaire historique.

En instaurant un fil conducteur centré sur la relation de Napoléon et de Joséphine, il s'affranchit assez rapidement de certains faits et s'arrange aussi avec l'histoire pour nous proposer une vision romanesque.

Contrairement au "Amadeus" de Milos Forman qui était à 95% fictif, le film de Scott traverse tous les moments historiques et clés de la trajectoire de l'empereur: Le siège de Toulon, le consulat, le sacre, Austerlitz, l'abdication, La retraite de Russie, les 100 jours, Waterloo, Sainte Hélène ...Tous ces moments forts nous sont présentés comme un roman photo.

La photographie , la mise en scène, les costumes et les décors sont magnifiques.

Scott retranscrit à l'écran avec brio, soin et fidélité les toiles légendaires des grands peintres napoléoniens comme David, Vernet, Meissonnier, Ingres et Turner pour le coté Anglais.

Les batailles, à défaut de réalisme historique, sont spectaculaires et tiennent leurs promesses.

Esthétiquement le film est donc une très belle réussite.

En revanche, cette succession d'incroyables images souffre d'un manque de liant , d'explications, d'intrigues et de fond.

Les enjeux géopolitiques qui ont guidé l'épopée napoléonienne sont réduits à une peau de chagrin.

Les grands personnages historiques , que ce soit la famille de l'empereur, son état major, ses ennemis, ses ministres (comme Talleyrand ou Fouché) sont quasiment inexistants dans le film et sont éclipsés au profit de la romance entretenue avec Joséphine.

Peut être que la version director's cut de 4H30,qui est déjà annoncée, rééquilibrera cet aspect...

Mais , à mes yeux, le gros point faible du film ,et qui ne pourra malheureusement pas être corrigé par la version longue, c'est l'incarnation de Napoléon par Joaquin Phoenix .

Trop vieux pour le rôle, il incarne un Napoléon taciturne, emprunté, rustre, maladroit, attentiste et impuissant....

A aucun moment on ne perçoit l'aura, la puissance et le charisme d'un homme qui a fasciné l'Europe entière et qui fut l'un des plus grands chefs d'état et de guerre de l'Histoire.

Son génie intellectuel, sa puissance de travail et sa formidable intuition qui, en très peu de temps, ont révolutionné et structuré durablement son pays sont absents du film de Scott et de l'interprétation proposée par Phoenix.

C'est assurément une grosse déception qui nous fait presque regretter le Napoléon incarné par Christian Clavier dans le téléfilm de Josée Dayan...

Ce Napoléon 2023, s'il reste techniquement et esthétiquement un bel objet cinématographique, n'est pas le film que l'on attendait.

Et plutôt que de lui donner une seconde chance avec la version Director's cut de 4H30, qui malheureusement ne pourra pas sauver l'essentiel, on ira plutôt se pencher sur "le guerre et paix"et le "Waterloo" de Sergueï Bondartchouk qui restent les meilleurs et les plus spectaculaires films réalisés sur L'Empire , avec notamment plus de 100 000 figurants .