Il faut faire preuve d’une certaine patience pour apprécier ce curieux objet à sa juste valeur. Les formalistes pourront déjà, dans le premier segment, reconnaître un certain talent à l’équipe qui réalise un unique plan-séquence de 37 minutes, d’un film intitulé O*ne cut of the Dead*, et qui imagine un tournage fauché sur un film de zombies durant lequel déboulent de véritables zombies.


La mise en abyme suppose donc déjà deux niveaux de visionnage : le tournage encadré, particulièrement nul en termes de jeu et d’effets spéciaux, sur lequel s’énerve le réalisateur qui n’obtient pas ce qu’il veut, et qui brille en effet par son manque de qualité, mais semble pouvoir s’excuser dans la mesure où elle serait volontaire. Le deuxième niveau ne relève pas excessivement le niveau, les « vrais » zombies n’étant pas véritablement plus convaincants, les comédiens un peu en roue libre, le scénar très flottant et le plan séquence assez foireux par moments,


Au bout des 37 minutes, le film reprend un mois auparavant pour nous présenter un troisième niveau, à savoir le tournage du plan-séquence en question par un réalisateur qui n’est pas en position de refuser une telle proposition. On apprend alors que le plan unique sera diffusé en live, ce qui interdit toute coupure dans la prise, ajoutant un défi à une entreprise déjà sacrément compromise.


A partir de cet instant, tout fait sens. Si les ressorts comiques (un technicien bourré, l’autre en proie à une gastro, une comédienne qui prend trop son rôle à cœur, un père qui veut reconquérir l’estime de sa fille…) sont éculés au possible, la relecture intégrale du premier plan-séquence explique tout ce qui semblait raté dans la première mouture : la longueur démesurée d’un plan, l’impossibilité d’un contre-champ, l’improvisation des acteurs (pendant qu’on leur brandit des cartons pour les intimer à la patience). L’effet Rashômon se fait donc ici à la faveur d’un moyen métrage entier, assez jubilatoire dans l’évocation d’un bordel à gérer dans l’instantanéité, le bricolage et l’improvisation.


En résulte un amusant exercice de style, qui sait donc transcender son manque de moyen (le film, issu d’abord d’un atelier d’acteurs et de réalisation, aurait été réalisé pour 25000 $ - sans cachet pour les comédiens qui au contraire payaient pour intégrer le stage, malin… avant d’en remporter 25 millions) par une inventivité de chaque instant, alliée à une belle déclaration d’amour au cinéma d’artisan.

Sergent_Pepper
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le 1 juin 2021

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Sergent_Pepper

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