À titre personnel, quand je lis que le réalisateur Philippe Garrel considère ce film comme l'un des plus grands films français, mon réflexe très instinctif, c'est de prendre peur. Étant donné le sujet, la relation amoureuse très compliquée entre le général de Montriveau et la duchesse de Langeais sous la Restauration, je vois arriver un film à l'emphase écœurante, un film en costumes ampoulé. Grand bien m'en a pris de tenter l'expérience, car là où je pensais ressentir une douleur masochiste, j'y ai vu un drame sensible avec Jeanne Balibar (Antoinette de Langeais) et Guillaume Depardieu (Armand de Montriveau) qui freinent leur roue libre.


Il y a bien entendu de nombreux tics qui dérangent, des considérations d'auteur qui me dépassent, une exagération constante dans l'expression. Pourtant, assez vite, ne serait-ce que les cartons par exemple, reprenant l'œuvre de Balzac je suppose, prennent une dimension intéressante, en amplifiant la dimension romanesque du récit. Étrangement, étant donnée la mauvaise base de départ, cette vision de la passion amoureuse s'est inscrite dans une épure plutôt sèche et bien menée. Je suppose que la volonté de Rivette est de s'atteler à une transposition aussi fidèle que possible au matériau d'origine, mais ce côté scolaire (presque anti-cinématographique, en un sens) ne s'accompagne pas d'effets trop indésirables sur la narration ou la fluidité de l'ensemble, en dépit de nombreuses ellipses.


En fait, l'austérité du ton se conjugue assez bien avec la désynchronisation totale de cette histoire d'amour, dans laquelle les deux amants ne se donneront à l'autre jamais au bon moment. Cette dynamique de l'incompatibilité, avec d'un côté une femme distante qui pensait seulement flirter de manière désintéressée, et de l'autre un homme ténébreux qui pensait ne jamais se laisser tenter, fonctionne bien. La manipulation et la vengeance auxquels auront recours les deux amants fous devant la perte forment un joli tissu névrotique. La fusion amoureuse n'aura jamais lieu dans ce jeu de rôle en opposition de phase. Certains dialogues sont affreusement pompeux ("ce n’est plus qu’un poème", au sujet de Balibar, prononcé par Depardieu avant de tourner la tête et regarder au large, quelle horreur), alors que d'autres sont plus perspicaces (comme par exemple la scène dans laquelle est énoncée la ligne-titre, où une sorte de furie passionnelle est sur le point d'être déclenchée) : c'est à l'image de l'ensemble de "Ne touchez pas la hache", qui parvient à trouver un certain équilibre malgré le caractère bancal de nombreuses situations.


http://je-mattarde.com/index.php?post/Ne-touchez-pas-la-hache-de-Jacques-Rivette-2007

Créée

le 16 avr. 2020

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Morrinson

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