Vous connaissez les règles: pas de téléphone portable pendant l’examen, vous avez quatre heures.
Chaque question est notée sur 5 points.

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1) Si vous habitez dans le Montana et devez vous rendre dans le Nebraska, devez-vous monter (vers le nord) ou descendre ?

Mes connaissances géographiques approximatives m’ont encore joué un tour. Si je situais les deux états à peu près dans leurs zones respectives, j’avais tendance à inverser leurs positions. Il faut donc descendre.
Un trompe-l’œil dans lequel l’amateur distant (ou distrait) des états-unis tombera souvent, si l’on considère l’œuvre de Payne.

2) Bruce Dern a-t-il un lien de parenté avec la Laura du même nom, que les plus jeunes d’entre vous auront remarqué dans Sailor et Lula ou Jurassic Park ?

Parfaitement ! Il s’agit du père et de la fille. Un grand plaisir, à l’occasion, de retrouver Bruce après ses nombreuses et remarquées apparitions dans les années 60, dans des productions Corman, par exemple, aux côtés de son jeune pote Jack Nicholson.

3) Film après film, Alexandre Payne devient un des réalisateurs les plus importants de sa génération. Saurez-vous discerner en quoi ?

Il y a, dans sa façon de détourner les codes convenus pour les transformer en vrai, en fin, et en beau, quelque chose d’admirable. Pour plusieurs raisons.
D’abord parce que ce principe (proposer un discours, une vision, sous la surface des choses) est celui-là même que mettent en avant les fanatiques de réalisateurs en vue (Trier ? Spielberg ? Del Toro ?) pour justifier leur amour d’œuvres parfois discutables, parfois complètement ratées. Loin de cet exercice de mauvaise foi industrielle, Payne tire la quintessence de son cinéma dans la description du voisin, de l’oncle, du collègue de travail, de l’ami, autour duquel une description minutieuse de l’époque va s’articuler.
Ensuite parce que cette façon de faire laissera les moins attentifs des spectateurs sur le côté, persuadés d’avoir eu à faire à quelque chose de joli mais un peu creux. Voir marqué géographiquement ("c’est un peu trop américain"). Alors qu’il n’y a rien de plus universel que ses films.
Alors attention, je ne dis pas que si vous n’appréciez pas un de ses films, c’est parce que vous manquez de finesse et de discernement. On peut passer à côté de "the descendants", "Mr Schmidt" ou ce "Nebraska" pour de très bonnes raisons. Toujours est-il qu’un premier tri s’opère, indiscutablement.

4) Qu’est-ce qui dans ce Nebraska, concourt à l’excellence habituelle du réalisateur ?

Le prétexte, d’abord. Le coup du ticket gagnant qui pousse le vieux papa à vouloir franchir la frontière de deux états pourrait sembler sympathique mais léger. De fait, cette future fortune supposée (au faux suspens excellemment bien entretenu) donne lieu à une cascade savoureuse de chutes de masques. La famille, les amis jouent tour à tour la pantomime du plaisir retrouvé, de l’affection spontanée, avant d’en venir à l’essentiel. Inutile de s’embarrasser d’une once de vérité sur la passé pour réclamer un possible gain immédiat: quel outil merveilleux pour comprendre le monde qui nous entoure.
Si le portrait de pèquenots taiseux ivres de télé peut nous sembler appuyé, il n’est pas aussi caricatural qu’il y parait. Il entre en formidable résonance avec d’autres très grands films du moment (Killer Joe ?) qui tentent de dresser un portrait saisissant de l’époque.

Les rôles principaux comme secondaires, sont formidablement écrits et interprétés. Bruce Dern, bien entendu, sur lequel je ne vais pas revenir, mais aussi June Squibb, sa femme, mère intraitable qui distribue les sentences implacables comme un homme politique les poignées de mains avant de révéler sa facette profondément aimable mais lucide.
Stacey Keach en vieux collègue chaleureux mais âpre au gain. Bob Odenkirk, le grand frère Ross, distant mais présent quand cela semble nécessaire. Mention spéciale, enfin, aux deux cousins, parfaits spécimens du connard de proximité.
Peut-être est-ce le personnage central, interprété par un Will Forte parfois un poil transparent, le moins fort. Mais ça ne sert qu’à mieux mettre en valeur son entourage, et renforce cette idée, superbement mise en scène par un "Inside Llewyn Davis", qu’un bon film ne s’appuie pas forcément sur un "héros" hors-norme.

Le traitement de l’intrigue, enfin. Alors qu’on attend un rabibochage inévitable entre le père et le fils au bout de cette quête en forme de road-movie tranquille, celui-ci n’interviendra que de manière imparfaite, bancale, fragile, pour un peu plus faire ressembler ce film délicat à une tranche de vie subtile et indolente, camouflant sa puissance sous les apparats de la banalité.

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Résultat du QCM: un 14/20, élève Guyness, eu égard à vos connaissances géographiques pour le moins imparfaites, et une tendance récurrente à l’épanchement interminable lors de vos réponses, qui pouvaient se condenser en un quart de leur taille.
Mais une affection sincère pour le cinéaste transpire, d’où la magnanimité de la note.
guyness

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