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J'imagine que vous connaissez Bear Grylls, le présentateur vedette de l'émission Man vs Wild, qui se fait parachuter dans un environnement hostile et dangereux sans équipement (ou presque) ni préparation spécifique pour y survivre. Si vous ne connaissiez pas Bear Grylls, vous voyez maintenant le concept.

Depuis de nombreuses années maintenant, j'ai pris l'habitude de vivre ma cinéphilie comme Bear Grylls vit ses émissions : je me lance sans préparation, à l'aveugle. Lassé par les bandes-annonces mensongères ou qui en révèlent trop, fatigué par le flux de news que l'on ne distingue plus des communiqués de presse, trop vieux pour me plonger dans des vidéos d'analyse de gens pourtant potentiellement très pertinents. J'aime choisir mes films à l'instinct, au grès de mon humeur, de mes envies, de ma forme ou de mes obsessions (c'est comme ça qu'on se retrouve à s'enquiller l'intégralité de la saga Hellraiser en une semaine, mais ceci est sujet bien différent). Si je me permets une telle digression, dont la légitimité peut s'avérer douteuse au premier abord, c'est parce que la façon dont j'ai découvert Nefarious me semble très importante pour comprendre, non seulement son impact sur moi, mais aussi certaines particularités du film.

Au départ, donc, Nefarious c'est une affiche et un pitch intrigants, qui fleurent bon la série B. Ajoutons à cela une durée compacte de quatre-vingt dix-sept minutes, n'en rajoutez pas, je suis convaincu. Je n'ai aucune idée du casting, de qui est à la réalisation ou à la production. Je ne jette même pas un œil au trailer. C'est donc complètement vierge et ouvert que, tel Bear Grylls, je me lance dans l'inconnu. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que, à l'arrivée, Nefarious est un sacré traquenard.

Un psychiatre doit évaluer si un condamné à mort, qui prétend être habité par un démon, est en possession de ses facultés mentales et s'il est donc apte à subir sa sentence. Après une brève introduction sur le suicide du précédent psychiatre, démarre un huis clos tendu entre les deux hommes, incarnant chacun un statut social et des valeurs opposés. La première demi-heure d'installation fait le job. Soyons honnêtes, les acteurs ne sont pas très bons. Sean Patrick Flanery en fait vraiment des tonnes et Jordan Belfi ne sait pas trop quoi jouer. Mais l'ensemble suffit à piquer la curiosité. La photo est correcte, le rythme est efficace et la mise en scène est sobre et plutôt propre. En réalité, il y a bien quelques indices qui auraient dû me mettre la puce à l'oreille sur la direction qu'allait prendre le film mais, à ce moment-là, ils peuvent êtres mis sur le compte des passages obligés des films de possession. C'est du folklore de rigueur alors passons.

Puis arrive un premier point de bascule du récit, quand notre ami le démon, qui se fait donc appeler Nefarious (ce qui, tout à fait entre nous, est vraiment un nom ridiculement premier degré pour un démon qui prétend être plus malin que l'humanité... mais passons) dispose d'information sur la mère du psychiatre qu'il ne devrait pas posséder. "Le doute m'habite (et mon couteau)" se dit alors le brave praticien, aussi diplômé que cartésien. Un point de bascule qui montre d'ailleurs bien la faiblesse du jeu de Jordan Belfi, j'ai du mal à croire que la prise gardée pour la scène où il s'énerve soit la meilleure qu'ils aient pu obtenir. Mais, là aussi, passons, ce n'est pas le plus important. Dans le crescendo oratoire qui précède l'explosion du médecin, flotte une sensation étrange : vient-on d'assister à une scène qui valide l'assimilation de l'euthanasie au meurtre ????

Certes, c'est tout à fait cohérent qu'un génie du mal s'appuie sur la douleur et le sentiment de culpabilité d'une personne pour la perturber et quoi de plus naturel que d'être mal à l'aise face au mal absolu ? Cependant, le ton de la scène reste étrange puisque le psychiatre semble presque accepter avoir commis un meurtre.

Le film se poursuit alors, suivant les mêmes modalités mais avec un peu moins de cordialité. Jusqu'à ce qu'arrive le second point de rupture : le psychiatre a commis un "autre" meurtre ! Ah, le gros bâtard. Son crime ? Ne pas empêcher l'avortement de sa copine. Vient-on d'assister à une scène qui valide l'assimilation de l'avortement au meurtre ????

Oui.

Cette fois-ci il n'y a aucune ambiguïté : le psychiatre n'arrive pas à articuler ses phrases, chaque argument est démonté sans qu'il trouve comme répondre, il s'avère lâche et il termine la scène en essayant d'arrêter la procédure d'avortement qui est bien entendue en cours au même moment. La scène se termine sur Nefarious qui jubile, parce qu'il a prouvé avoir raison : un meurtre et un avortement, c'est pareil.

Ah...

C'est alors que je me suis permis un petit tour sur IMDB.com pour confirmer mon impression : les réalisateurs de Nefarious sont Chuck Konzelman et Cary Solomon, deux figures du cinéma fondamentaliste chrétien américain, scénaristes du turbo embarrassant God's not Dead.

C'est alors que Nefarious lâche les chevaux, à l'image de son démon éponyme, le film est persuadé d'avoir "ferré" sa cible par la surpuissance de son raisonnement. La deuxième partie du film ne se cache alors plus : les raisonnements par l'absurde s'enchaînent pour dire que la logique et la rigueur scientifique ne peut conduire qu'à une seule conclusion : l'existence de Nefarious, de son maître, le diable, et de leur ennemi commun, dieu. Le grand barbu du paradis n'est d'ailleurs jamais nommé directement mais il faut être bien dupe pour ne pas comprendre où on va. Pour ceux qui auraient des doutes, rappelons le climax du film : une intervention divine qui sauve un athée du suicide afin de le transformer en croyant évangélisateur, dont la sagesse retrouvée se diffuse via les postes de télévision américains. On note d'ailleurs que la figure du Lanceur d'alerte converti est un cliché tout à fait récurrent de cet Hollywood parallèle. La présence de Glenn Beck, animateur conservateur à peu prêt aussi rigoureux qu'Alex Jones, lors de l'épilogue vient planter le dernier clou nauséabond dans le cercueil de Nefarious. Comme tout bon film prosélyte, Nefarious ne cherche pas à questionner mais bien à apporter des réponses définitives, c'est une œuvre de zélote, de fanatique.

Un peu à la façon de Sound of Freedom, Nefarious se révèle plus intéressant à décortiquer que l'immense majorité des films qui constituent la fange christiano-cinématographique. Déjà, il y a la facture technique. Rien d'exceptionnel non plus mais ça pue largement moins la défaite que d'habitude. S'ils ne sont pas très bons, voire parfois mauvais, les comédiens restent bien meilleurs que, par exemple, Kevin Sorbo au top de sa forme. Nefarious n'est donc pas de ces films immédiatement cheap et ringards, c'est ce qui le rend sans doute plus "dangereux" aussi. Il ne fait aucun doute que ce film a été conçu comme une sorte de "piège", épousant une certaine modernité progressiste pour mieux valider par l'absurde son propre conservatisme. Chuck Konzelman et Cary Solomon n'ont pas le talent et la subtilité nécessaire pour que l'entreprise fonctionne jusqu'au bout, les gros sabots sont de sortie dès le deuxième acte, mais ils réussissent à atteindre le stade du "sur un malentendu, ça peut marcher", visant ainsi une diffusion plus large que le cercle de convaincus par avance. Comme du caca enveloppé dans du papier.

Cette volonté de faire un film de propagande qui n'a pas l'air d'y toucher a néanmoins un effet inattendu, dont j'aurais bien du mal à en situer l'origine. Nefarious veut vous convaincre, et il semble d'ailleurs vraiment convaincu lui-même d'y être arrivé, que la solution à la déliquescence du monde, c'est dieu et son fiston mort sur la croix. Tout l'attirail rhétorique néo-conservateur est de sortie... sauf que le traitement de la peine de mort, centrale dans le film, semble dénoter. En effet, Nefarious fait le choix de nous montrer une exécution à la chaise électrique de façon très frontale et choquante. De plus l'intégralité du film repose sur l'idée même que le tueur condamné à mort n'est pour rien dans les meurtres qu'il a commis. Si on se place dans la logique délirante du fondamentalisme chrétien, la peine de mort n'est pas mieux traitée : elle fait partie intégrante du plan du diable pour conquérir le monde et elle est assimilé à un meurtre, au même titre que l'avortement et l'euthanasie. (et je pense que cette phrase seule suffit à résumer la connerie de Nefarious)

Si on cumule tous ces éléments, ça donne vraiment l'impression que Nefarious est un film anti peine de mort. Or, ça ne cadre pas vraiment avec les obsessions conservatrices américaines, dont le soutien à la peine de mort est un pilier fédérateur. C'est le seul détail qui offre un peu de doute et un peu de place au questionnement. Est-ce intentionnel de la part des auteurs ? Est-ce une lecture permise par leur incompétence à verrouiller leur récit ?

Un bénéfice du doute qui ne sauve cependant pas Nefarious du marasme prosélyte et crétin dans lequel il se vautre.

Vnr-Herzog
2
Écrit par

Créée

le 6 mai 2024

Modifiée

le 6 mai 2024

Critique lue 22 fois

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