Hommage & désespoir
En 1977, Scorsese, auréolé du succès de Mean Streets et du triomphe fait à Taxi Driver, peut mettre des moyens sur ses ambitions. Parce qu’il est avant tout cinéphile, il lance alors un important...
le 10 oct. 2016
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Qui est le film ?
Sorti en 1977, New York, New York est sans doute l’un des films les plus déroutants de Martin Scorsese. Il s’inscrit après les fulgurances de Mean Streets et Taxi Driver, et arrive dans une période où le cinéaste est en proie à devenir un grand nom. Ici, il se confronte frontalement au musical, ce genre où Hollywood a bâti certains de ses mythes les plus flamboyants, tout en y injectant son regard documentaire sur la ville et sur les corps. À la surface, l’histoire suit la rencontre entre Jimmy Doyle, et une chanteuse talentueuse, Francine Evans : une histoire d’amour contrariée par la lourdeur de l'un, le travail et les ambitions.
Que cherche-t-il à dire ?
Le projet est clair : interroger la manière dont le spectacle, au lieu de sauver, peut consumer. Scorsese met en tension deux régimes : l’ivresse de la scène, des numéros musicaux qui captivent et exaltent, et la rugosité d’un quotidien fait de désillusions. Sa vertu critique tient moins à la cohérence tonale qu’à la façon dont il rend visible le prix humain de la « réussite » show-biz : comment le rêve scénique se monnaie en dépossession, solitude et compromis.
Par quels moyens ?
Scorsese arrive sur ce projet avec une volonté explicite : marier le musical de studio (numéros écrits et chorégraphiés, numéros « cinéma de Hollywood ») avec un regard documentaire sur New York d’après-guerre. Ce croisement est le moteur de toute la paradoxalité du film. Les numéros (écrits par Kander & Ebb et supervisés musicalement par Ralph Burns) sont conçus tout en étant signifiants mais Scorsese les insère dans une texture de ville qui n’est pas décorative : les rues, les clubs, les arrière-cuisines travaillent comme des indices sociaux et économiques. Cette tension est au cœur de sa construction : l’artifice et le réel ne s’opposent pas, ils s’entrechoquent. Scorsese nous oblige à croire à la magie tout en la rendant suspecte.
La musique ne renvoie pas ici seulement à l’émotion : elle structure l’économie des personnages. John Kander et Fred Ebb fournissent des chansons qui incarnent des positions sociales (le numéro d’ouverture, les ballades de Francine, le fameux « Theme from New York, New York ») ; Ralph Burns orchestre et conduit ces matériaux pour les inscrire dans une veine jazz-house qui pense la ville en grooves et en vamps. La genèse du fameux « Theme from New York, New York » est révélatrice : né d’un désaccord, réécrit, repris par Sinatra, il finit par échapper au film. La musique survit aux individus, comme si le rêve d’une ville se détachait toujours de ceux qui le portent.
Le couple Minnelli / De Niro est volontairement dissonant : Liza Minnelli apporte la naissance d’une star-interprète, incarnant une femme de métier dont la voix et la présence tiennent le récit ; De Niro, pour sa part, compose un musicien moins assuré, sa posture est parfois maladroite, sa vocation chaloupée. Le film travaille cette asymétrie comme un commentaire : Francine est l’actrice-travailleuse, Jimmy est le gosier nostalgique qui n’arrive pas à convertir sa virtuosité en stabilité sociale.
Longueurs, séquences coupées puis restaurées, variations de ton : le film semble parfois vaciller. Mais ce déséquilibre est constitutif de son projet. Les grands numéros scéniques sont exaltants, mais les scènes de coulisse ramènent la dureté sociale. Cette oscillation, qui a pu être perçue comme une faute, est en réalité la matière du film : Scorsese refuse l’homogénéité pour mettre en scène une contradiction vivante.
Au-delà de la musique, New York, New York raconte aussi une étude sur le travail affectif et sexué dans le show-business : Francine s’épuise à donner une image, à endosser des rôles qui la placent sur le devant mais la retirent de l’intime. Le regard masculin (Jimmy, mais aussi la machinerie des producteurs) met en lumière la marchandisation du charme féminin. Scorsese montre comment la carrière d’une femme artiste se négocie entre reconnaissance et exploitation ; la scène finale, où Minnelli chante la chanson titre, est à la fois triomphe public et stigmatisation privée, elle est dans l’applaudissement et simultanément sur le fil d’un isolement profond.
Le film construit New York comme protagoniste polyphonique : reconstruction post-guerre, chantiers, clubs, V-J Day et café-théâtres. La ville est le témoin de transformations économiques (modernisation, ascension du marché du divertissement) et morales (les rêves d’après-guerre confrontés à l’usure). Scorsese filme la ville sans mythifier ni désacraliser : il l’habille de lumière hollywoodienne pour la scène puis la laisse retrouver sa rugosité dans les scènes de quotidien.
Le film fut un relatif échec commercial à sa sortie et connut des remontages. Mais son « après-vie » a été paradoxale : une chanson est devenue hymne, une séquence restaurée a été réévaluée, et l’entreprise a nourri plus tard une adaptation scénique.
Où me situer ?
J’admire profondément ce geste de cinéma qui accepte de vaciller, qui ose l’instabilité comme forme, qui mêle les genres. Je trouve néanmoins que le film se perd parfois dans ses ambitions : certains passages semblent se répéter sans toujours renforcer la thèse. Pire que la lourdeur du personnage du protagoniste masculin ne mérite pas une heure de notre attention.
Quelle lecture en tirer ?
Regarder New York, New York aujourd’hui, c’est se confronter à une œuvre qui ne flatte ni l’œil ni l’oreille, mais qui pense à travers ses fissures. Elle raconte que l’art peut magnifier, mais qu’il peut aussi user ; que la scène peut éblouir, mais qu’elle coûte à ceux qui la tiennent.
Créée
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