New York, New York par SimBoth

Après le succès inestimable de Taxi Driver, Martin Scorsese, en pleine mégalomanie et drogué jusqu’aux yeux, réalise son hommage gargantuesque et flamboyant à la comédie musicale des années 1940 et 1950, notamment à certains de ses pères spirituels comme Vincente Minnelli ou Stanley Donen. Avec son New York artificiel en studio, ses décors en carton-pâte expressionniste, son festival de couleurs chatoyantes et son abondance musicale, la ville devient le vecteur nostalgique d’un âge d’or aseptisé et définitivement révolu. Cependant, l’auteur a le bon goût de le marier avec son style plus naturaliste et cru afin d’y transmettre une dimension plus sombre et désenchantée, à la Cassavetes.

Cela, il le fait au travers du duo composé de Robert De Niro et Liza Minnelli. Le premier est un saxophoniste trublion, frimeur, séducteur opiniâtre et un pulsionnel à la fois fougueux et fuyant. C’est un avant-gardiste qui rêve de devenir un jazzman jouant du bebop à Harlem. Il contraste avec le classicisme plus old-school des big bands blancs du swing qu’incarne le personnage féminin. Elle est une idéaliste à la voix d’or voulant atteindre les sommets du music-hall de Broadway. Avec ce couple, l’auteur filme la difficulté d’un homme et d’une femme à vivre, à travailler et à créer ensemble. Leur amour passionnel, qui naît pendant la fébrilité enthousiaste de l’après-guerre, se transforme en déception, en jalousie, en lâcheté et en colère, générant par conséquent un amour manqué et désillusionné. Ainsi, au milieu de ce dense récit festoyant, Scorsese y intègre le drame torturé d’un couple mis à l’épreuve par leurs aspirations individuelles respectives. Chacun a sa propre quête du sacrifice, du refus de compromis ainsi qu’une quête de perfection, ce fameux « accord majeur » dont nous parle Jimmy. La musique les unit, mais crée paradoxalement la discorde entre eux. Trop différents dans la conception de celle-ci, ils ne peuvent s’épanouir ni partager leur vie ensemble. Par ailleurs, les deux comédiens ont une relation fusionnelle géniale, jonglant entre l’excentricité, l’improvisation, le dynamisme et des scènes de ménage violentes aux engueulades homériques.

Du reste, la réalisation aux mouvements sophistiqués, fluides et virevoltants de Scorsese capture toute la frénésie énergique de la musique et l’épouse parfaitement avec l’euphorie et le désespoir de cet amour qui se déchire dans le vertige du show-business. Il faut le dire, le réalisateur confectionne son œuvre dans un excès maladif, étirant ses séquences musicales jusqu’à un enivrement spectaculaire et délirant, mais c’est ce qui fait la fulgurance enfiévrée du film. Enfin, la dualité morale des protagonistes se noue avec leur propre progéniture musicale : le tube intemporel New York, New York. C’est le New York du rêve d’antan, avec tout son irréalisme et ses happy endings, mais aussi le New York plus mélancolique et spectral, à l’image de ce dernier plan d’un De Niro quittant le cadre pour laisser un New York nocturne et humide, où l’on ne chante plus sous la pluie.