J’avais découvert la bande-annonce de Night Moves une semaine plus tôt et il faut dire qu’elle donnait vraiment envie, avec son ambiance lugubre, façon drame sur fond de thriller psychologique. Je me rendis donc au cinéma sans aucune autre information dessus ignorant alors que la réalisatrice était celle qui m’avait profondément ennuyée avec son Wendy et Lucy, film décrivant l’histoire d’une vagabonde qui perd son chien et qui le cherche pendant 1h20. Et heureusement que je ne le savais pas car je ne serais probablement pas allé voir cette dernière production qui s’avéra être une très bonne surprise !

Le film relate l’histoire de trois écologistes radicaux se réunissant pour effectuer un coup légendaire, la destruction d’un important barrage hydraulique nocif à la biodiversité environnante. Ainsi, le long-métrage débute par la préparation et la mise en place de tous les éléments nécessaires à la réussite de leur projet. Autour de ses trois protagonistes, Reichardt parvient à installer une ambiance à la fois pesante et âpre, très réussie. Sa caméra retranscrit à merveille le climat de la campagne américaine très dépaysant, en marge du monde, par le biais d’une mise en scène simple mais efficace, associant de beaux paysages à des teintes subtiles, bien travaillées et un fond sonore planant accompagnant de nombreuses séquences. La réalisation de Night Moves est bien plus agréable que celle de Wendy et Lucy tout en restant minimaliste. Autrement, le film prend son temps, et se déploie lentement présentant un à un chaque détail de l’élaboration de l’acte terroriste, telle une mécanique bien huilée, lui octroyant ainsi un certain naturalisme doté d’une ambiance morose très particulière et propre à l’œuvre. Pourtant, malgré ces composantes potentiellement soporifiques, pas un moment on ne sombre dans un état de léthargie grâce au développement d’une tension palpable, que l’on retrouve dans plusieurs scènes, jusqu’au climax de la réalisation même de leur entreprise. Cependant, le film ne s’arrête pas là et une deuxième partie tout aussi maîtrisée s’articule sur l’après-attentat, je n’en dis pas plus…

Concernant le trio d’écologistes, la réalisatrice parvient à les rendre chacun intéressant sans le moindre flashback ou la moindre facilité narrative. On connait très peu de choses d’eux, mais au travers de leurs échanges et de leurs faits et gestes, chacun prend sa consistance. Cela est notamment dû à l’interprétation magistrale des acteurs, tous parfaitement crédibles. Dakota Fanning arrive à donner de la consistance à son personnage, pourtant le plus cliché des trois : la jeune femme idéaliste ayant fui ses études par dégoût de la société. Peter Sarsgaard est également très bon dans son rôle d’activiste expérimenté et charismatique. Enfin, c’est Jesse Eisenberg qui prend le visage de Josh, personnage le plus intéressant du groupe, et dont la deuxième partie offre toute la complexité. Masque impavide, mutique et angoissant, il campe un être inadapté se réfugiant dans une communauté fermière, pris dans une tourmente de paranoïa jusqu’à la rupture. Vraiment impressionnant.
Mais le long-métrage de Reichardt ne se contente pas d’être un drame profondément douloureux. Il prend une autre dimension en nous livrant un questionnement sur la façon dont le combat pour l’écologie doit se mener. Comment doit s’articuler la lutte pour l’environnant ? Faut-il choquer les esprits par la manière forte ou les sensibiliser en douceur ? Le radicalisme des militants est-il vraiment une solution ? Jusqu’où peut-on aller pour la défense d’une noble cause ? Est-ce qu’il y a encore un espoir ou est-ce déjà trop tard ? Le film permet au spectateur de se faire son opinion sur toutes ces interrogations bien qu’il soit empreint d’un pessimisme écrasant, d’une violence sourde accablante ne laissant certainement pas indifférent.

En définitive, Kelly Reichardt a gagné en maturité et nous propose ici une œuvre très puissante, et à la beauté plastique indéniable qui mérite d’être visionnée. Cette réalisatrice sera donc à suivre à l’avenir en espérant que sa carrière soit fructueuse !
Woe
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le 25 avr. 2014

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